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REVUE — CHRONIQUE.

où les partis marchent comme un seul homme, sous des drapeaux aux couleurs bien tranchées, avec des principes bien nets, et où l’on sait toujours au juste et ce qui triomphe et ce qui succombe. Il est fâcheux pour la monarchie de juillet que M. Thiers s’éloigne de ses conseils. Avec tous ses défauts que nous avons vivement signalés lorsqu’il attachait son nom à des mesures de réaction, mais qu’il n’était ni loyal, ni habile de rappeler à l’occasion d’une retraite honorable, il apportait plus qu’aucun autre, dans le cabinet, une intelligence élevée des besoins et des intérêts de la France ; c’est de plus une parole éloquente facile, toujours prête, qu’on remplacera difficilement, et qui est cependant si nécessaire au pouvoir dans cette vie parlementaire où il faut gagner son pain de chaque jour à la sueur de son front.

Les affaires d’Espagne ont eu trop d’influence sur la crise ministérielle que nous venons de raconter, pour qu’un récit, puisé aux sources les plus sûres, des grands évènemens qui agitent ce pays, n’offre pas un vif intérêt ; c’est peut-être même par là que nous aurions dû commencer.

Lorsque nous parlions de l’Espagne dans notre dernière chronique, la révolution y était accomplie. Une conspiration militaire avait éclaté à Saint-Ildefonse, et la reine-régente, menacée par des soldats en révolte, avait accepté ou laissé proclamer la constitution de 1812. Mais ces évènemens n’ont été connus à Paris que le 18, par une dépêche télégraphique de Bayonne. Les détails en sont arrivés deux jours après, et le gouvernement s’est empressé de les publier. Le premier effet que produisit la dépêche télégraphique, fut de retarder la dissolution du ministère, qui paraissait inévitable le même jour à midi.

La reine-régente était restée à Saint-Ildefonse, quoiqu’on ne lui eût pas épargné de trop justes avis sur les dangers qu’elle pouvait y courir. Elle n’avait auprès d’elle qu’un seul ministre, et la garnison de la résidence royale se composait de 1400 hommes, appartenant à trois corps différens, 1100 hommes d’infanterie et 300 de cavalerie. Ces troupes étaient sous les ordres du comte de San-Roman, commandant supérieur de la garde, qui la veille encore répondait de leur fidélité. Mais ce qui serait incroyable dans tout autre pays que l’Espagne, on leur devait trois mois de solde, et cette malheureuse circonstance fut trop bien exploitée par les agens secrets venus de Madrid, qui les travaillaient depuis quelque temps.

Le 12 au soir, quand les portes de Saint-Ildefonse étaient déjà fermées, un bataillon d’infanterie de 700 hommes, dont la caserne était située hors de l’enceinte de la ville, sortit de ses quartiers en bon ordre, musique en tête, et se présenta devant la porte voisine, demandant à grands cris qu’elle lui fût ouverte. On s’y refusa long-temps, et ce bataillon resta près d’une heure en dehors de la ville, à vociférer des menaces. Cependant les esprits s’échauffaient, et on se disposait à enfoncer la porte, quand elle fut ouverte du dedans par l’autre bataillon d’infanterie de 400 hommes, qui était caserné dans la ville et qui arriva en armes pour prendre part au mouvement. Tous ensemble se rendirent alors sur la place du palais, en criant qu’ils voulaient être payés de leur solde. Au milieu de ce tu-