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deviendrait menaçante pour le régime constitutionnel, plus aussi les passions extrêmes s’enflammeraient et trouveraient de prise sur le peuple. Il voyait bien que chaque victoire des bandes carlistes profiterait aux exaltados, qui ne manqueraient pas de crier à la trahison et d’accuser des revers de l’armée, la cour, les généraux, le système de modération suivi par le gouvernement. Il voulait ainsi faire disparaître le plus grand obstacle à l’établissement de la révolution que nous avions favorisée, en débarrassant la reine de ses premiers ennemis, de ceux qui ont été, jusqu’à ces derniers temps, les plus dangereux, les seuls déclarés. Après ce grand service rendu au parti libéral, sans distinction de nuances, la France aurait pu lui faire accepter ses conseils, lui faire partager le fruit d’une plus longue expérience dans la carrière de la liberté. Quand il y aurait eu en Espagne un gouvernement régulier, solide, et maître de son action, au lieu de deux partis en lutte, alors se serait vraiment réalisée l’alliance des états constitutionnels du midi de l’Europe, en opposition à celle des monarchies absolues du nord. M. Thiers, quelle que fût sa politique à l’intérieur, était donc révolutionnaire au dehors. Comme il ne comprenait pas une politique d’isolement, il voulait que la France pût s’appuyer sur quelque chose autour d’elle, et il entendait que ce fût, non pas, si l’on veut, sur des révolutions, mais sur des gouvernemens régis par les mêmes principes qu’elle, qui eussent subi un changement analogue au sien, et qui eussent par conséquent les mêmes intérêts généraux. Au reste, cette politique paraît aussi avoir été celle de ses collègues ; seulement chez lui, et par la nature de son caractère, elle conduisait plus directement à une action positive, et elle tendait davantage à se manifester par des résultats. Nous croyons savoir que si M. de Broglie avait su manier certains détails d’organisation militaire, s’il avait pu imprimer lui-même le mouvement à une coopération efficace, diriger et suivre l’exécution d’un plan qui demandait l’application simultanée d’une grande activité d’esprit à une foule d’objets divers, il aurait volontiers prêté à l’Espagne, contre don Carlos, et sur la même échelle, le genre de secours que M. Thiers lui ménageait dans ces derniers temps. Mais M. de Broglie ne savait trop comment s’y prendre, et plia toujours devant l’opposition que rencontrait d’un certain côté tout projet de se mêler activement des affaires d’Espagne.

M. Thiers a plusieurs fois proposé l’intervention ; l’année dernière, il la voulait encore, directe, avouée, sous les glorieuses couleurs de la France. Il n’a jamais cru beaucoup aux prétendues répugnances des Espagnols pour un secours, qui, après tout, n’avait rien de plus humiliant que la prolongation de la guerre civile et qui les en eût délivrés. En cela, il voyait juste ; car, de tous les hommes qui ont manié les affaires d’Espagne depuis trois ans, il n’y en a pas un seul qui n’ait fini par désirer et réclamer l’intervention de la France. On sait avec quelle devise M. Mendizabal était arrivé au pouvoir ; cependant M. Mendizabal a demandé, lui aussi, l’intervention, comme M. de Toreno l’avait fait avant lui, et comme le fit après lui M. Isturitz ; et nous avons vu, dans une discussion solennelle des cortès, l’orgueil espagnol se payer d’un honnête