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aujourd’hui si complètement négligées, méritaient sans doute l’attention des éditeurs. Si elles sont insuffisantes pour les premiers siècles, il en est tout autrement pour les derniers temps qu’embrasse leur rédaction. Un intérêt de curiosité nous attire vers un monument qui, pendant tant de siècles, a été la seule autorité historique. Ces chroniques doivent expliquer non-seulement les erreurs matérielles et grossières qui, telles que notre descendance des Troyens, font sourire aujourd’hui, mais encore ces idées fausses sur la physionomie générale des premiers temps de notre histoire, beaucoup moins faciles à détruire, et qui font encore le fonds des croyances historiques, malgré les éminens travaux de l’école moderne. Quelques mots sur les chroniques de Saint-Denis feront apprécier l’important travail de leur nouvel éditeur, M. P. Paris. Au moyen-âge, le clergé seul écrivait et conservait l’histoire ; les cathédrales, les monastères importans avaient leurs chroniques, c’est-à-dire une collection plus ou moins complète des chroniqueurs et des annalistes latins : Grégoire de Tours, Fredegaire, Éginard, Aimoin. De toutes ces collections, la plus célèbre était celle de Saint-Denis. C’est elle que les trouvères et les jongleurs invoquent le plus souvent, pour donner du crédit à leurs compositions. Mais elles étaient loin de former un seul corps d’histoire. Les érudits français, entre autres Lacurne de Sainte-Palaie, ont pensé qu’au xiie siècle seulement l’abbé Suger avait, avec toutes ces chroniques, fait rédiger un corps d’annales latines qu’il compléta lui-même en écrivant la vie de Louis-le-Gros. Nous possédons, avec ce dernier morceau, une suite non interrompue de biographies de rois de France, rédigées, à partir de cette époque, par des auteurs contemporains, jusqu’à Guillaume de Nangis ; mais nous n’avons plus la compilation latine des chroniques de Saint-Denis. Peut-être devons-nous douter qu’elle ait jamais existé, et croire que la rédaction française connue aujourd’hui fut faite directement sur les annalistes latins conservés au trésor de cette abbaye. Quoi qu’il en soit de ce point douteux, on avait jusqu’ici pensé, avec Sainte-Palaie, que le premier traducteur ou compilateur des chroniques de Saint-Denis était Guillaume de Nangis. M. Paris, dans la dissertation qu’il a placée en tête de son premier volume, se prononce pour le ménestrel anonyme d’Alphonse, comte de Poitiers, frère de saint Louis. Il cite, d’après un manuscrit de la bibliothèque royale, le prologue de cet auteur, et, en le comparant au prologue des grandes chroniques, tel qu’il se lit aujourd’hui, il fait remarquer les rapports qui existent entre le travail du premier traducteur et celui des moines qui mirent la dernière main à l’ouvrage sous Philippe-le-Bel, et lui donnèrent pour la première fois le titre de Chroniques de France selon qu’elles sont conservées à Saint-Denis.