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pouvoir. Les sentimens exprimés dans les lettres du ministre sont ceux d’un amant pour sa maîtresse. Le cardinal se meurt pour elle ; il voudrait lui envoyer son cœur. Les mots passion et ardeur reviennent sans cesse sous sa plume.

M. Ravenel, éditeur de cette correspondance, s’est imposé la pénible tâche de la déchiffrer. Malheureusement, la chose ne lui a pas toujours été possible, et la confusion des chiffres employés par Mazarin rend un grand nombre de passages peu intelligibles. Toutes les lettres admises dans ce volumineux recueil ne sont pas inédites, et l’éditeur n’est pas irréprochable dans son choix. Nous blâmerons encore la liberté qu’il a prise de traduire en quelque sorte le style de Mazarin en faisant disparaître l’orthographe vicieuse et les italianismes. Il nous semble que c’est enlever à ces lettres leur caractère original, et nous eussions préféré une copie exacte. Au reste, le style du cardinal n’a pas beaucoup gagné à passer par les corrections de l’éditeur, et l’on s’étonne de ne lui trouver aucune des qualités des bons écrivains de son époque.

L’autre volume publié par la société est le premier d’une nouvelle édition de Grégoire de Tours, texte et traduction en regard. Pour le texte, l’excellente édition de Ruinart, reproduite dans le recueil des historiens de France par D. Bouquet, laissait peu de choses à désirer ; la rareté chaque jour croissante de cette édition, et son format peu favorable à l’étude, ont pu seuls déterminer les sociétaires à la réimprimer. Il en était tout autrement de la traduction. Déjà nous en avions trois : l’une de 1610, par Claude Bonnet, avocat au parlement de Grenoble ; l’autre de 1688, par l’infatigable abbé de Marolles ; la troisième, enfin, toute récente et publiée, par Sauvigny, sous le titre de Mémoires de Grégoire de Tours, dans l’une des premières collections consacrées à l’histoire nationale. Les deux premières sont fautives, et souvent plus inintelligibles que l’original. La troisième, bien que très supérieure, laissait encore beaucoup à désirer. Celle de M. Guadet a-t-elle résolu le problème d’une reproduction, en langage moderne, du père de l’histoire de France. À en juger par les trois livres qui ont paru, nous ne le pensons pas. Traduire Grégoire de Tours est une rude tâche, qui exigerait la réunion de qualités bien rares. Ce ne serait pas assez de comprendre parfaitement la langue souvent barbare de l’évêque : il faudrait connaître à fond les hommes, les choses et les usages de son temps, être assez maître de notre langue pour la plier à un style inculte, mais énergique et original. Nous doutons que M. Guadet ait réuni à un assez haut degré ces conditions indispensables. Toutefois son travail n’est pas sans utilité, le texte y est souvent mieux compris et mieux rendu qu’il ne l’avait été jusqu’ici, et des notes intéressantes complètent celles des précédens éditeurs.

Les grandes chroniques de Saint-Denis, jadis si célèbres, si répandues,