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grand nombre. Les classes pauvres, qui n’ont pas de mandataires dans nos assemblées légales, sont peut-être plus fidèlement représentées que les autres classes devant l’opinion publique. On peut même dire qu’elles ont cause gagnée. Le soulagement des parties souffrantes est pour la société ce qu’est pour l’individu la conservation de soi-même, le premier des devoirs. Il n’y a plus d’hésitation sur ce principe ; mais, dès qu’il s’agit des mesures à prendre dans l’intérêt du pauvre lui-même, les avis se partagent et la discussion s’établit.

Selon les uns, l’infortune constitue un droit suffisant aux secours publics. Tout homme, par le seul fait de son indigence, devient, en quelque sorte, créancier de l’état, et peut réclamer légalement l’assistance directe, ou du moins un travail assuré et productif. C’est le système des philantropes étourdis du dernier siècle, et que, sans s’en douter, des économistes modernes continuent, en réclamant, comme un acte de justice et de prudence, l’institution des colonies agricoles et des établissemens industriels toujours ouverts aux pauvres travailleurs. Mais quelques esprits assez forts pour résister aux mouvemens d’une compassion irréfléchie combattent formellement toutes ces propositions. Ils pensent que l’action du gouvernement ne saurait jamais être que préventive, que l’état doit s’appliquer uniquement à détruire les abus qui engendrent la misère, et abandonner le redressement du mal existant à la charité des particuliers, aux sympathies libres. C’est l’opinion professée par M. Duchâtel dans un livre qu’on vient de réimprimer sous ce titre : Considérations d’économie politique sur la bienfaisance, et dans un excellent travail de M. Naville, de la Charité légale[1], qui a partagé avec le précédent les suffrages de l’Institut.

La charité légale est celle dont le principe est écrit dans la loi, et que le gouvernement exerce avec les deniers publics. L’Angleterre n’est pas la seule contrée soumise à la taxe des pauvres. La Suède, la Norvège, le Danemarck, la Livonie, la Hollande, la Belgique et presque toute l’Allemagne, une partie de l’Écosse, de la Suisse et des États-Unis d’Amérique, subissent le même système, à quelques différences près dans le mode d’administration. M. Naville s’est appliqué à suivre l’effet de ce système dans les pays qui en ont fait la triste épreuve. Les renseignemens qu’il a réunis à force de lectures, de correspondances et d’observations, nous font connaître le régime du pauvre, et comblent ainsi une lacune trop fréquente dans les livres qui exposent la vie intérieure des nations. Comme il n’y a pour le pauvre qu’une seule affaire en ce monde, qui est de défendre son existence contre les besoins dévorans, dire à quelles conditions

  1. vol. in-8o chez Dufart, libraire, quai Malaquais, 7.