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critique polie, telle que les amateurs de goût se la permettaient sous Louis XIV. Valincourt n’avait alors que vingt-cinq ans ; il aimait peu le monde de Huet, de Segrais ; il arrivait plus tard, et représente au net les jugemens de Racine et de Boileau. Sa malice qui se tempère toujours, n’empêche pas en lui l’équité, et qu’il ne fasse la part à la louange ; il n’a pas évité pourtant la minutie et la chicane du détail. Ceux qui attribuaient la critique au père Bouhours avaient droit de trouver plaisant que le censeur reprochât à la première rencontre de M. de Clèves et de Mlle de Chartres d’avoir lieu dans une boutique de joailler plutôt que dans une église. Quoi qu’il en soit, l’ensemble atteste un esprit exact et fin, décemment ironique, et tel que Fontanes l’aurait pu consulter avec plaisir et profit avant de critiquer Mme de Staël. L’abbé de Charnes, qui reprend cette critique mot à mot pour la réfuter avec injure, m’a tout l’air d’un provincial qui n’avait pas demandé à Mme de La Fayette la permission de la défendre ; Barbier d’Aucourt s’en fût tiré autrement. On peut voir dans Valincourt une théorie complète du roman historique très bien exposée par un savant qu’il introduit, et cette théorie n’est autre que celle que Walter Scott a en partie réalisée.

Bussy, qui dans ses lettres à Mme de Sévigné parle assez longuement de la Princesse de Clèves, ajoute avec cette incroyable fatuité qui gâtait tout : « Notre critique est de gens de qualité qui ont de l’esprit : celle qui est imprimée est plus exacte et plaisante en beaucoup d’endroits. » Pour venger Mme de La Fayette de quelques malignités de cet avantageux personnage, il suffit de citer de lui ce trait-là.

En avançant dans la composition de la Princesse de Clèves, les pensées de Mme de La Fayette, après ce premier essor vers la jeunesse et ses joies, redeviennent graves ; l’idée du devoir augmente et l’emporte. L’austérité de la fin sent bien cette vue si longue et si prochaine de la mort, qui fait paraître les choses de cette vie de cet œil si différent[1] dont on les voit en santé. Dès l’été de 1677, elle avait elle-même éprouvé cela, et, comme l’indique Mme de Sévigné, tourné son âme à finir. Le désabusement de toutes choses se montre dans cette crainte qu’elle prête à Mme de Clèves, que le

  1. Valincourt remarque avec raison qu’il faudrait : de celui dont.