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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

à Mme de Montespan, avait dit en 1666 : « Mme de Thianges me présenta à sa sœur… Je peignis ma misère… sans me ravaler ; … enfin Mme de La Fayette aurait été contente du vrai de mes expressions et de la brièveté de mon récit. » En fait de société aimable et polie, unissant le sérieux et le vrai à la grâce, si j’avais été de M. Rœderer, j’en aurais vu et placé le triomphe le plus satisfaisant dans le cercle de Mmes de Sévigné et de La Fayette, plutôt que dans l’élévation et le mariage de Mme de Maintenon. Celle-ci nuisit en un sens à la société polie, comme certains révolutionnaires ont nui à la liberté, en la poussant trop loin et jusqu’aux excès qui appellent la réaction contraire. Il fallait s’arrêter avant la pruderie sous peine de provoquer la Régence.

En juillet 1677, un an avant la Princesse de Clèves, on voit que la santé de Mme de La Fayette semblait au pire, bien qu’elle dût encore aller quinze ans à dépérir ainsi sans relâche, étant de celles qui traînent leur misérable vie jusqu’à la dernière goutte d’huile[1]. C’est pourtant dans l’hiver qui suivit, que M. de La Rochefoucauld et elle s’occupèrent de ce joli roman qui parut chez Barbin le 16 mars 1678. Segrais, que nous trouvons encore sur notre chemin, dit en un endroit, qu’il n’a pas pris la peine de répondre à la critique que l’on fit de ce roman[2] ; et à un autre endroit, que Mme de La Fayette a dédaigné d’y répondre ; de sorte qu’il y aurait doute, si on le voulait, sur son degré de coopération. Mais, pour le coup, nous ne le discuterons pas, et ce roman est trop supérieur à tout ce qu’il a jamais écrit pour permettre d’hésiter. Personne, au reste, ne s’y méprit cette fois ; les lectures confidentielles avaient fait bruit, et le livre fut bien reçu comme l’œuvre de la seule Mme de La Fayette, aidée du goût de M. de La Rochefoucauld. Dès que cette Princesse, ainsi annoncée à l’avance, parut, elle fut l’objet de toutes les conversations et correspondances ; Bussy et Mme de Sévigné s’en écrivaient ; on était partout sur le qui-vive à son propos ; on s’abordait dans la grande allée des Tuileries en s’en demandant des nouvelles. Fontenelle lut le roman quatre fois dans la nou-

  1. Mme de Sévigné.
  2. Il est à remarquer qu’à l’endroit où on lui fait dire cela, dans le Segraisiana, on lui prête une erreur au sujet du roman qui aurait été le sien : il parle en effet de la rencontre de M. de Nemours et de Mme de Clèves chez le joailler, tandis que c’est M. de Clèves qui y rencontre celle qui doit être sa femme. On ne peut donc prendre ce propos, mal recueilli, pour une autorité.