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cinquante mille livres de rente que je n’aurais pas le train de grande dame, ni un lit galonné d’or comme Mme de La Fayette, ni un valet de chambre comme Mme de Coulanges. Le plaisir qu’elles en ont vaut-il les railleries qu’elles en essuient. » Je ne sais si le lit galonné de Mme de La Fayette prêtait beaucoup aux plaisanteries ; mais couchée là-dessus, comme il lui arrivait trop souvent, elle y était plus simple à coup sûr que son amie sous ce manteau couleur de feuille morte qu’elle affecte d’user jusqu’au bout. Enfin toute amitié cessa entre elles ; Mme de Maintenon le déclare : « Je n’ai pu conserver l’amitié de Mme de La Fayette, elle en mettait la continuation à trop haut prix. Je lui ai montré du moins que j’étais aussi sincère qu’elle. C’est le duc qui nous a brouillées. Nous l’avons été autrefois pour des bagatelles[1]. » Et dans les mémoires de Mme de La Fayette sur les années 1688 et 1689, à propos de la comédie d’Esther, on lit : « Elle (Mme de Maintenon) ordonna au poète de faire une comédie, mais de choisir un sujet pieux : car, à l’heure qu’il est, hors de la piété point de salut à la cour aussi bien que dans l’autre monde… La comédie représentait, en quelque sorte, la chute de Mme de Montespan et l’élévation de Mme de Maintenon ; toute la différence fut qu’Esther était un peu plus jeune et moins précieuse en fait de piété. » En citant ces paroles de deux femmes illustres, je ne me plais pas à en faire ressortir l’aigreur qui gâta une longue affection. En somme, Mme de Maintenon et Mme de La Fayette étaient deux puissances trop considérables, et qui faisaient trop peu de frais, pour ne pas se refroidir à l’égard l’une de l’autre. Mme de Maintenon, en grandissant la dernière, dut par degrés changer envers Mme de La Fayette qui resta la même ; c’est ce procédé uniforme que Mme de Maintenon aurait peut-être voulu voir changer un peu avec sa fortune[2]. Mme de La Fayette mourante était celle encore dont Mme Scarron, écrivant à Mme de Chantelou sur sa présentation

  1. Lettre à Mme de Saint-Géran, août 1684. De quel duc s’agit-il ? Est-ce du nouveau duc de La Rochefoucauld ? On voit, par une lettre de Mme de Maintenon à la même, d’avril 1679, qu’elle ne pouvait souffrir les Marsillac, père et fils.
  2. La Beaumelle, dans les Mémoires qui précèdent son édition des Lettres de Mme de Maintenon, suppose à Mme de La Fayette je ne sais quels torts de caractère et quelles prétentions de vouloir remplacer Mme de Sablé, qui éloignèrent d’elle ses amis, et rendirent sa maison déserte : on ne peut trancher avec plus d’impertinence à l’encontre de tous les témoignages.