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prend plus rien de lui qui le distingue. Elle en eut deux fils qu’elle aimait beaucoup, l’un militaire, dont l’établissement l’avait fort occupé, et qui mourut peu de temps après elle, et un autre, l’abbé de La Fayette, pourvu de bonnes abbayes, et dont on sait surtout qu’il prêtait négligemment les manuscrits de sa mère et les perdait.

Mme de La Fayette fut introduite jeune à l’hôtel de Rambouillet, et elle y apprit beaucoup de la marquise. M. Rœderer, qui a intérêt à ce qu’aucune des plaisanteries de Molière n’atteigne l’hôtel de Rambouillet, le fait se dépeupler et finir un peu plus tôt qu’il ne convient. Mme de La Fayette eut le temps d’y aller et d’y profiter aussi bien que Mme de Sévigné. M. Auger, dans la notice, d’ailleurs exacte et intéressante, mais sèche de ton, qu’il a donnée sur Mme de La Fayette, dit à ce propos : « Introduite de bonne heure dans la société de l’hôtel de Rambouillet, la justesse et la solidité naturelles de son esprit n’auraient peut-être pas résisté à la contagion du mauvais goût dont cet hôtel était le centre, si la lecture des poètes latins ne lui eût offert un préservatif, etc., etc. » Le préservatif eut bien dû agir sur Ménage tout le premier. Cela est de plus injuste pour l’hôtel Rambouillet, et M. Roederer a complètement raison contre ces manières de dire. Mais il s’abuse lui-même assurément quand il fait de cet hôtel le berceau légitime du bon goût, quand il nous montre Mlle de Scudéry comme y étant plutôt tolérée qu’exaltée et admirée. Il oublie que Voiture, tant qu’il vécut, tint le dé en ce monde-là ; or, on sait, en fait d’esprit, mais aussi en fait de goût, ce qu’était Voiture. Quant à Mlle de Scudéry, il suffit de lire Segrais, Huet et autres, pour voir quel cas on faisait de cette incomparable fille, et de l’illustre Bassa, et du grand Cyrus, et de ses vers si naturels, si tendres, que dénigrait Despréaux, mais où il ne saurait mordre ; et ce que Segrais et Huet admiraient en de pareils termes devait n’être pas jugé plus sévèrement dans un monde dont ils étaient comme les derniers oracles. Mme de La Fayette, qui avait l’esprit solide et fin, s’en tira à la manière de Mme de Sévigné, en n’en prenant que le mieux ; par son âge, elle appartenait tout-à-fait à la jeune cour, et, même avec moins de solidité dans l’esprit, elle n’aurait pas manqué d’en posséder encore les plus justes élégances. Dès les premiers temps de son mariage, elle avait eu l’occasion de voir fréquemment au couvent de Chaillot la jeune princesse d’Angleterre près de la reine Henriette, qui,