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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

elle pénétrait sans peine le sens de ces auteurs. » Un peu plus loin il revient sur les mérites de M. Ménage : « Où trouvera-t-on des poètes comme M. Ménage, qui fassent de bons vers latins, de bons vers grecs et de bons vers italiens ? C’était un grand personnage, quoi que ses envieux en aient voulu dire : il ne savait pourtant pas toutes les finesses de la poésie ; mais Mme de La Fayette les entendait bien.» La personne qui préférait à tout et sentait ainsi les poètes, était à la fois celle-là même qui se montrait vraie par excellence, comme M. de La Rochefoucauld plus tard le lui dit, employant pour la première fois[1] cette expression qui est restée : esprit poétique, esprit vrai, son mérite comme son charme est dans cette alliance. Avec cela, Mme de La Fayette avait grand soin (Segrais nous en avertit encore) de ne faire rien paraître de sa science ni de son latin, pour ne pas choquer les autres femmes. Ménage nous apprend qu’elle répondit un jour à M. Huyghens qui lui demandait ce que c’était qu’un iambe, que c’était le contraire d’un trochée ; mais il fallait M. Huyghens et sa question, croyez-le bien, pour lui faire prendre ainsi la parole sur le trochée et sur l’iambe[2].

Mariée dès 1655 au comte de La Fayette, ce qu’il y eut probablement de plus remarquable et de plus d’accord avec l’imagination dans ce mariage, ce fut qu’elle devint ainsi la belle-sœur de la mère Angélique de La Fayette, supérieure du couvent de Chaillot, autrefois fille d’honneur d’Anne d’Autriche, et dont les chastes amours avec Louis XIII composent un roman chaste et simple, tout semblable à ceux que représente Mme de Clèves. Son mari, après lui avoir donné le nom qu’elle allait illustrer et qu’une si tendre lueur décorait déjà, s’efface et disparaît de sa vie pour ainsi dire ; on n’ap-

  1. C’est par erreur qu’au tome ier des Critiques et Portraits, pag. 43 (seconde édition), j’ai attribué à Mme de Sévigné d’avoir la première employé ce mot ; elle l’appliqua maintefois à son amie, à sa fille ; on aurait pu le lui appliquer à elle-même ; mais il paraît bien que ce fut M. de La Rochefoucauld qui le dit d’abord.
  2. Tallemant des Réaux, ce rapporteur ordinaire des mauvaises paroles, en attribue une à Mlle de La Vergne sur son maître Ménage : « Cet importun Ménage va venir tantôt. » Il la rapporte au reste à bonne fin, et pour montrer que le pédant galant n’était pas du dernier bien avec ses belles élèves. On n’avait pas besoin de ce témoignage pour conclure que Mme de La Fayette ne se faisait aucune illusion sur les défauts du pauvre Ménage, et je crains même qu’elle n’ait songé à lui entre autres, le jour où elle dit « qu’il était rare de trouver de la probité parmi les savans. »