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de sens et de vérité : il y a des intérêts particuliers qui veulent se satisfaire ; il y a les inévitables ennemis de toute autorité nouvelle, il y a les embarras d’argent et les embarras de position ; les exagérés, qui veulent toujours aller plus loin, les timides qui se cachent ou s’en vont. L’année dernière, on a vu tout cela dans les juntes ; cette fois on en voit déjà quelque chose. À Malaga, le lendemain de la révolution, on ne savait où trouver de l’argent ; la commission de gouvernement avait déjà ses ennemis, et le reconnaissait naïvement dans le bulletin officiel de ses séances ; elle se plaignait de la froideur des uns, du mécontentement des autres ; avant qu’on eût appris le soulèvement de Cadix, la jeunesse même refusait de marcher sur Grenade. À Sarragosse, les tiraillemens sont tels, que, sur quatre juntes de gouvernement nommées l’une après l’autre, pas une encore n’a réussi à s’installer.

Nous ne croyons donc pas que le gouvernement de la reine soit sérieusement menacé. La constitution de 1812 nous inquiète d’autant moins que les provinces soulevées reconnaissent formellement aux cortès le droit de la modifier. Nous ne serions vraiment inquiets que le jour où l’armée, fidèle jusqu’à présent, échapperait à ses chefs et prêterait à l’insurrection un appui sans lequel il n’y a pour elle ni durée, ni succès.

Il y a sur ces évènemens, sur la tournure qu’ils prendront, sur la résistance que pourra opposer aux juntes le ministère espagnol, une grande anxiété dans le monde diplomatique ; mais on peut être sûr que l’Europe redoute beaucoup plus le triomphe de la révolution qu’elle ne désire celui de don Carlos. Et la France, que fera-t-elle ? Voilà ce qu’on se demande de toutes parts. Intervenir ? Pas tout-à-fait ; la question d’argent est grave. Abandonner la cause de la reine, laisser don Carlos faire peut-être quelques pas de plus à la faveur de cette confusion ? encore moins. Des engagemens solennels, l’honneur et l’intérêt de la révolution de juillet, l’honneur et l’intérêt de la nouvelle dynastie, tout le défend. On restera donc fidèle au système de la quadruple alliance ; on lui donnera plus de développement ; on imprimera au recrutement de la légion étrangère un mouvement plus rapide ; elle recevra un chef d’un rang plus élevé, d’une réputation militaire plus éclatante, d’une énergie incontestable, d’un nom, d’une position politique à laquelle il serait difficile de refuser plus tard tout ce qui sera nécessaire pour ne pas le compromettre ; et si les Anglais s’y prêtent, comme il n’y a lieu d’en douter, le but du traité de la quadruple alliance pourra être atteint. Est-ce assez ? est-ce tout ce qu’il serait possible de faire, questions délicates que nous posons sans les résoudre. Pour nous, notre conviction profonde est qu’il faut, à tout prix, empêcher don Carlos de s’établir à Madrid. La clef de voûte du système de paix suivi depuis six ans est la solidarité d’une Europe constitutionnelle opposée à l’Europe absolutiste. Pactiser avec Carlos serait trahison envers les prétentions les plus justes et les plus modérées de la révolution française, qui tend à multiplier les monarchies constitutionnelles ; politique que M. de Talleyrand s’est si souvent vanté de servir, et que probablement le président ministre des affaires étrangères n’abandonnera pas.