Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/505

Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
POÈTES ÉPIQUES.

ont excellé à composer ce que l’on appelle de beaux vers et de belles phrases, sorte d’art mécanique dans lequel ils sont de beaucoup supérieurs aux Grecs, le moindre d’entre eux pouvant en remontrer là-dessus au vieil Homère. La décadence ne vient pas non plus de ce qu’ils ont quitté les principes du siècle d’Auguste. Le contraire de cette idée serait plus exact. Dites que ces poètes sont demeurés stériles parce qu’ils sont restés asservis à une loi morte, et vous toucherez au vrai. Pour eux, la vieille société a beau mourir, ils n’en ont cure. La même expression, la même règle, la même mythologie, ils l’appliquent à l’Italie d’Évandre et à l’Italie des empereurs. Avant comme après les Barbares, Rome est toujours pour eux la Rome de Fabricius et de Caton. Que leur fait le bélier qui frappe à la porte ? jusqu’au bout, ils continuent le jeu classique des temps de Saturne. C’est toujours, quoi qu’il arrive, même sénat, mêmes naïades, même triomphe, surtout même imitation. Sous le Goth Stilicon reparaît l’âge d’or. Alaric est le commensal d’Énée ; le siècle de Claudien se revêt de la peau du lion homérique. La poétique du siècle d’Auguste régit jusqu’à la fin le siècle d’Augustule.

Qui ne voit clairement que si l’art de cette époque n’a aucune valeur sérieuse, ce perpétuel mensonge en est la cause ? car ce n’est pas la poésie en soi qui manquait au spectacle de cette société agonisante ; le spectateur seul y manquait. De tant de prophètes officiels, augures, devins, aruspices, pas un n’a le pressentiment de ce qui menace le monde antique. Tranquillement et stupidement la société romaine s’en va à l’abîme sans qu’il se trouve, parmi tous ces intrépides disciples du siècle d’Auguste, un homme qui ait le cœur de se lever, et de dire : « Nous périssons ! » Certes, il ne valait guère la peine d’avoir à son berceau tant de sibylles pour n’être pas prévenu de sa chute une heure d’avance. Ni Attila, ni aucun des Barbares, ne peuvent arracher cette momie impériale à l’imitation de l’Énéide, qu’elle balbutie encore dans son tombeau de Byzance. Veut-on voir quelque chose de plus, il faut relire Symmaque. Quand tout est fini, et qu’il n’y a déjà plus de Rome, sous Théodose, il se trouve encore un homme pour demander, au nom de la société qui n’est plus, le rétablissement du culte de Janus. Sans doute cet homme-là croyait qu’il ne fallait qu’un décret de l’empereur pour ressusciter les dieux ensevelis, depuis trois siècles, sous le grand tumulus de l’Olympe. S’il y a