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POÈTES ÉPIQUES.

n’aura pas disparu en un moment. On retrouvera plus tard, je ne dis pas des poèmes semblables, mais au moins des fragmens et des tentatives du génie populaire. Quand les poètes patriciens, formés sur les modèles grecs, commenceront à paraître, on verra une lutte, un effort de la pensée plébéienne, pour résister à l’innovation. Si l’on n’admet pas la lutte de deux écoles, il y aura au moins quelque part un regret pour cet ancien vers saturnin inventé par les Faunes[1] et aboli par Ennius. Dans les grandes occasions, on entendra encore le retentissement de ces chants évanouis. Après le poète viendra l’écho, après Homère les homérides. Dans l’époque d’art le plus cultivé, le génie national conservera encore des marques de son origine, et la muse des premiers temps visitera par intervalles le siècle de Mécène. Sur ce dernier point, je sais bien qu’à nous autres Français on peut objecter l’oubli dans lequel le siècle de Louis XIV a laissé tomber les formes de la vieille poésie indigène ; mais cet oubli n’a pas été complet. Dans cette seconde renaissance, il y eut toujours des hommes et des monumens qui représentèrent la tradition du vieux génie que l’on appelait gaulois. Sans parler des Amadis et des poèmes chevaleresques en prose, Lafontaine seul ferait soupçonner tout un monde perdu. Il n’y a point de Lafontaine sous Auguste.

Enfin, on ne sait où remonter pour trouver dans la poésie romaine la trace du chant populaire : plus vous poursuivez ce fantôme, plus il vous échappe ; dès que vous entendez prononcer un nom de poète, la réaction grecque est déjà complète. Le plus ancien de tous, Livius Andronicus, débute par une traduction de l’Odyssée. Après lui, Nœvius et surtout Ennius, en racontant les histoires les plus intimes de la vieille Rome, sont déjà sous le joug d’Euripide. Si l’on remonte plus haut, on trouve la liturgie des prêtres pour bénir le temple, le champ, le tombeau, mais point de rhapsodies, point de poèmes héroïques, point d’épopée. Pour enfanter une série de poèmes, il faut à un peuple une certaine oisiveté ou liberté poétique ; celle du Germain dans la forêt hercynienne, du Gaël dans le clan, de l’Arabe dans le désert, du trouvère dans sa maison joyeuse de Provence. Mais il n’y a point, il ne peut y avoir d’épo-

  1. Sripsêre alii rem
    Versibù quos olim Fauni vatesque canebant.

    Ennii fragmenta.