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nemens de Niebuhr s’appliqueraient à eux, et conduiraient invinciblement à ce résultat : Souli n’est pas moins fabuleuse que Rome.

Que si, laissant les considérations extrinsèques, je pénètre plus avant dans la question, et si j’examine les règnes des sept rois de Rome, non-seulement j’y cherche en vain le caractère évident de poésie populaire qu’on croit y découvrir ; mais encore j’y aperçois tout le contraire. Les éternelles divisions de tribus, de curies, de centuries, les réglemens politiques, les établissemens de lois, de colléges pontificaux, de monnaie, les commentaires, les grandes annales, les libri lintei, la division des artisans par Numa, des classes par Servius, les constructions d’aqueducs, de murs d’enceinte, de routes, de cloaques ; voilà d’étranges sujets de chansons et de thèmes héroïques ! À quoi bon tout inventer pour n’inventer pas mieux ? Dans la plupart des autres faits se découvre un mélange d’érudition grecque, peut-être plus opposé encore au génie de l’inspiration plébéienne ; et dans tous les cas, l’empreinte d’un génie juridique s’y laisse voir bien plutôt que celle d’un génie poétique et spiritualiste. Ce triste peuple romain ne chante pas ; il écrit : il écrit sur le bois, sur l’écorce, sur le cuivre, sur le plomb, sur l’airain, sur la toile. En vain les sibylles ont tiré de bonne heure son horoscope dans la langue d’Homère ; il n’a point la sérénité de l’Ionie pour épancher ses rudes souvenirs en longues rhapsodies. Il n’a point eu d’enfance ; sa jeunesse a mûri en un moment, et le travail, la guerre, le châtiment, la loi, la nécessité, l’imitation, l’ont vieilli avant l’âge. Ses années sanglantes sont marquées une à une par le grand pontife, et marquées d’un clou au pilori sacré ; voilà sa première épopée, la seule indubitable. Prédestinée à la prose, Rome a toujours su écrire. Elle s’est formée et s’est accrue à l’ombre d’Alexandrie ! Ses rois, hommes ou idées, Klephtes ou symboles, ont deux visages comme son Janus : l’un très idéal, l’autre très réel. À côté de la louve du Tibre, vous les rencontrez dans tous les embarras de la jurisprudence et de la parole écrite. Des fastes, des commentaires, des annales, un droit fécial, un droit papirien, écrits sur l’écorce du figuier ruminal ; est-ce là le berceau d’un rhapsode ? N’est-ce pas plutôt le berceau d’un légiste ?

En vain oppose-t-on que les livres ont été détruits dans l’incendie du Capitole, et que chacun, plébéien, patricien, a recomposé à sa guise les âges perdus. Admettez qu’un seul monument ait échappé