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des jongleurs, des meistersaengers, qui tous ont chanté la fable d’Arthus ou de Charlemagne ; à plus forte raison trouverai-je un grand nombre d’hommes et de conditions semblables dans la vieille Rome. Mais il n’en est rien, loin de là ; le nom même du poète manque à la langue de cette société du patron et du client, tant ils sont loin de posséder une école de rhapsodes épiques ; ils ne connaissent d’abord que le prophète et le devin augural, vates. Ainsi voilà une société fondée, dit-on, sur l’épopée, et qui n’a pas même dans sa langue un mot pour désigner la condition du poète[1] ! Mais au moins, en admettant que ce dernier, quelque nom qu’on lui donne, ait été l’unique conservateur de la tradition des ancêtres, il sera, sans nul doute, honoré dans Rome plus qu’en aucun lieu du monde. Le rhapsode latin, s’il existe, aura sa part de gloire au festin du patriciat ; sa place sera marquée dans la cité ; il n’aura rien à envier au rhapsode d’Ionie. Or, c’est précisément encore le contraire qui a lieu dans la vieille Rome, le poète n’est rien autre chose qu’un histrion, un parasite. Caton peut reprocher à un proconsul, comme une action déshonorante, d’avoir lié commerce avec l’un d’eux, quand même cet histrion était le grand Ennius. Ce sont là de singulières contradictions dans une société qui devrait tout au poète.

J’admets qu’on n’en tienne point de compte, non plus que de cette autre circonstance, qu’aucun Romain n’a été sur la voie des origines romaines. De semblables méprises se découvrent ailleurs, et je consens qu’on n’en tire aucun argument sérieux. Mais, après cela, je m’informe des autorités antiques sur lesquelles le nouveau système est fondé ; et mon étonnement est grand de voir qu’en éconduisant les citations parasites, tout se réduise à deux ou trois lignes de Caton l’ancien, répétées presque dans les mêmes termes par Varron et par Denys d’Halicarnasse. Dans le peu de mots extraits de son livre sur les origines, Caton affirme que, long-temps avant lui, c’était une coutume, dans les repas, de chanter des vers à la louange des vertus des grands hommes. Qui croirait que ce soit là, avec quelques mots semblables, l’unique fondement de la théorie nouvelle ? Rien pourtant n’est plus vrai. Détachée de ce qui la précédait et de ce qui la suivait, l’assertion de Caton prouve

  1. Le mot vates n’a eu cette signification que depuis Ennius.