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ajoutait le merveilleux des aventures, la poésie des caractères, et puis enfin, quelques textes égarés ; car c’était le côté faible de ce système, que le petit nombre et l’insuffisance des témoignages sur lesquels il s’appuyait. Mais cette faiblesse n’était-elle pas bien rachetée par les ressemblances de l’histoire universelle, par la grandeur des résultats, par l’audace même de la découverte qui tenait d’une sorte de révélation, surtout par l’accent convaincu du chef de la nouvelle doctrine. Son intolérance étant un gage de vérité, on cédait à une conviction si orgueilleuse tout ce que la science laissait douteux. Voilà comment on crut voir reparaître, sous les récits oratoires de Tite-Live, comme sous de maladroits palimpsestes, une série de chants épiques en mètres saturnins. Ces chants, qui commençaient à Romulus, avaient pour dénouement la bataille de Regille. Après cette journée seulement, on entrait dans l’histoire. Par là était résolu le problème de l’épopée romaine. Ce n’était plus dans le siècle d’Auguste qu’il fallait chercher le vrai monument de la poésie latine. Tout au contraire c’est au commencement, et dans les langes de la société romaine, que se rencontrait ce chef-d’œuvre. Les lignes principales, les formes, les divisions, les épisodes, et même quelques débris du rhythme, venaient d’en être découverts ; chacun pouvait le refaire à son gré. Est-il besoin de dire que l’on attribuait tout d’abord à ce Paradis perdu de la poésie latine, toutes les qualités que l’on refusait à l’époque de culture, l’originalité, la grandeur, la naïveté, l’indépendance ? Au milieu de cela, survinrent les critiques ; ils arrachèrent à Virgile sa couronne chancelante ; ils la mirent au front du fantôme de l’Homère latin, nouvellement retrouvé dans les huttes de la Rome primitive ; bien des cordes, il est vrai, manquaient à cette lyre perdue depuis trois mille ans. Mais l’imagination des érudits était empressée à les rattacher et à les faire vibrer à leur guise. Ainsi s’acheva le triomphe d’un rêve ; rien ne manqua au fantôme, pas même l’apothéose, après quoi on se demanda un jour s’il avait réellement existé, et quelle preuve on en avait ; ce jour-là, la foi tomba comme elle s’était élevée. Niebuhr était appuyé sur Wolf ; la ruine de l’un devait entraîner la ruine de l’autre. Ni chez les anciens, ni chez les modernes, il n’y a place à la fois pour deux Homère.

Il y eut un temps où toutes les hypothèses, pourvu qu’elles