Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/479

Cette page a été validée par deux contributeurs.
475
GABRIEL NAUDÉ.

Mais quand j’aduouerois que c’est mon mestier et celuy des autres pédants comme moy, de citer tous ces autheurs anciens et modernes, quand le cas y eschet, le procès en seroit plustôt finy. » Au temps de Naudé, la citation était un des éléments essentiels du style, surtout chez les savans ; au milieu de ces lambeaux, pris çà et là à toute l’antiquité, et recousus tant bien que mal à un fonds de langage français peu ferme encore, indécis dans sa marche, la langue est comme tremblante et pleine d’hésitation, sans mesure et sans arrêt : ce n’est plus le français de Rabelais, et ce n’est pas encore celui de Corneille. L’idiome est là en travail et en fermentation pour produire la prose de Pascal et de Bossuet, qui, plus tard, se transformera chez Voltaire, puis chez Mirabeau. Outre que chaque génie, sans se faire pour cela sa langue à lui, s’approprie un style, et taille son langage sur le patron de sa pensée, du jour où une langue s’arrête, on peut le dire, cette langue meurt ; car cette immobilité impliquerait qu’un peuple peut vivre et accomplir ses phases sans modifier ses formes. Or, qu’est le langage, sinon la forme, l’instrument de l’idée ? Chez Naudé, il est peu facile de voir et de saisir toutes ses transformations d’idiome, le style étant à chaque instant brisé, et comme interrompu par les citations ; l’art se bornait alors à bien agencer tous ces fragmens, à faire une gerbe de tous ces épis. Plus tard, au temps de Labruyère, il y eut une vive réaction contre cette manière d’écrire ; on ne regardait plus les savans, hors de leur bibliothèque, que comme des inutilités impropres à tout. Le grand moraliste disait à ce sujet : « Il y a maintenant une sorte de hardiesse à soutenir devant certains esprits la honte de l’érudition. » On eût été mal venu, en effet, à prodiguer la science littéraire dans les salons de Louis XIV, ou durant les promenades de Versailles, et il n’est pas douteux que Naudé n’ait touché aux derniers écrivains qu’avec son génie supérieur Labruyère caractérisait en son chapitre de la Chaire, par ces mots : « Il y a moins d’un siècle qu’un livre françois étoit un certain nombre de pages latines, où l’on découvroit quelques lignes et quelques mots en notre langue. » Labruyère a dit aussi en parlant des ouvrages de l’esprit : « L’on écrit régulièrement depuis vingt années ; l’on est esclave de la construction, on a secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement françoise. » Tout cela, comme on voit, s’applique parfaitement à Naudé et à son école, à part les restrictions personnelles de talent, et les honorables travaux en dehors du style.

Le bibliothécaire de Mazarin, pendant le séjour de douze années qu’il fit alors à Paris, ne publia guère d’ouvrage important que le Mascurat. Je ne parlerai pas de ses épigrammes latines imprimées en 1650. Ce sont des vers d’album qu’il avait composés à Rome, pour les portraits de Barberin,