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gieuse chez les Albigeois ont péri avec eux ; mais ceux des Vaudois existent en partie, et cela revient au même. Léger en avait communiqué quelques pièces ; M. Raynouard a fait imprimer en entier la Noble Leçon (de 1100), comme un des plus anciens monumens de la langue romane. Ce sont les seuls documens sur lesquels leurs doctrines doivent être jugées. Bossuet révoquait en doute leur authenticité ou même leur existence. Son objection est vaine : les documens sont là, tellement authentiques, que les formes du langage attestent leur haute antiquité. Qu’on lise, qu’on examine : je défie le plus habile inquisiteur d’en extorquer la moindre trace de manichéisme. C’est la foi chrétienne dans toute sa simplicité primitive. Cependant j’y vois aussi ce qui a attiré aux Vaudois tant de persécutions, entre autres un passage remarquable sur la confession des agonisans, et les dons faits à l’église pro remedio animæ[1]. En traitant de manichéens les Patarins, M. Rossetti n’a fait que répéter sans examen une vieille erreur ; mais les mystères qu’il leur attribue, et la complicité des poètes avec eux, sont de son invention.

D’autre part, il confond sans cesse les Gibelins avec ces sectaires supposés, et, pour rendre spécieuse cette combinaison, il croit pouvoir tirer un grand parti du traité latin de la Monarchie. Il n’est pas bien sûr que celui qui passe sous le nom de Dante, soit de lui : mais nous l’acceptons comme tel. La doctrine contenue dans ce traité n’appartient pas exclusivement à Dante : elle avait été mise en vogue par les jurisconsultes ; elle était si peu secrète, que les professeurs de Bologne l’enseignaient publiquement en chaire. L’empereur est le pendant du pape : au premier appartient la suprématie sur le temporel, comme au pape sur le spirituel. Tous les états de la chrétienté relèvent de l’empereur ; les rois, au lieu de vider leurs querelles par les armes, doivent les porter à son tribunal, etc. Cette théorie doit paraître absurde aujourd’hui, parce qu’elle attribue au chef électif de la nation germanique, considéré comme le vrai successeur des anciens empereurs romains, des droits qui ne sont pas fondés dans l’histoire, et que, d’ailleurs, il n’avait pas la puissance de faire valoir et accepter. Mais dans un temps où les papes s’arrogeaient le droit de déposer les rois, et de disposer des royaumes, c’était l’unique moyen d’opposition, d’une opposition,

  1. Raynouard, Troubadours, tom. ii, pag. 94-96.