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scolastique. Les sonnets et les canzoni des plus anciens poètes italiens ne parlent ni aux sens ni à l’ame, parce qu’il n’y a ni volupté ni passion. C’est un sentiment trop volatilisé pour exciter la sympathie : on peut douter quelquefois qu’il ait eu un objet corporel. À l’égard de Dante et de Pétrarque, ce doute deviendrait absurde. Dans les poésies lyriques du premier il y a encore des restes de l’ancienne subtilité, mais souvent aussi il est l’historien naïf d’émotions vraies et profondes, par exemple dans la vision de la mort de Béatrice, qu’il eut pendant une maladie. Pétrarque a éclipsé ses devanciers, non-seulement par le charme du style et de la versification, mais parce qu’il réunit une ardeur passionnée avec la pureté des sentimens les plus exaltés, et la courtoisie chevaleresque des troubadours avec la profondeur d’un solitaire contemplatif.

Passons à Boccace. Cet écrivain a composé un grand nombre d’ouvrages dont la plupart ne sont plus que des antiquités littéraires, quelques-uns même des raretés bibliographiques. D’une part, il faisait le métier de savant ; de l’autre, il cultivait la gaie science du nouvelliste et du romancier ; et les prétentions du philologue ont eu souvent une influence nuisible sur les inspirations du poète. L’on ne saurait nier qu’il n’ait quelquefois méconnu sa vocation et fait fausse route. Versificateur médiocre, il a fait, sans y prendre garde, une infinité de vers faibles, ce qui n’était plus pardonnable après Pétrarque. Son ambition, comme prosateur, était de façonner le beau parler toscan aux périodes de Cicéron ; dans le genre descriptif et pathétique, il a rendu son style traînant par l’emploi multiplié des participes et des phrases incidentes, tandis que rien n’est plus gracieux que son imitation du dialogue familier. L’ouvrage qui lui a coûté visiblement les plus grands efforts, le Filocopo, est aussi celui dans lequel il a le plus complètement échoué. Une seule de ses compositions, le Décaméron, a eu un succès populaire et européen. Boccace a beau en parler comme d’une folie de sa jeunesse (folie tardive, puisqu’il avait quarante ans lorsque le Décaméron parut), c’est son titre de gloire. En accordant qu’une partie des applaudissemens qu’il obtint était due à des attraits étrangers à l’art et au talent, en désapprouvant même ces attraits, il me semble qu’on peut encore y trouver de quoi justifier une admiration sans alliage. Mais il ne s’agit pas ici d’apprécier