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une énigme de sphinx : Aipy signifie escarpé ; c’est, comme on voit, une allusion au site d’Avignon. Dans une de ses lettres, Pétrarque dit : In rupe horrida tristis sedet Avennio olim ; nunc pontifex maximus Romanus, propriis sedibus desertis, obstante, ut arbitror, naturâ, caput orbis efficere nititur, oblitus Laterani et Silvestri. Cependant Pétrarque a fait une faute de grec, en ne mettant pas ce mot au féminin : Aipeia, Æpea ; mais alors la langue grecque n’était pas encore accessible à tous : il avait fait de vains efforts pour l’apprendre.

Je m’étonne que M. Rossetti n’ait pas fait mention de la seconde églogue qui se rapporte à un événement déjà éloigné, à la mort de l’empereur Henri VII (en 1313), dont le nom ( Arrigo) n’est que légèrement altéré en Argus, afin de lui donner un air classique. Ici, M. Rossetti aurait pu surprendre Pétrarque, pour ainsi dire, en flagrant délit, puisqu’il nous apprend que les sectaires non-seulement mettaient le nom de cet empereur en chiffres et en anagrammes, ce qui leur était bien loisible, mais qu’ils le déifiaient et le mettaient à la place de Dieu et du Christ. Il est naturel que les Gibelins aient déploré la mort prématurée de Henri VII ; mais de la part des sectaires cet hommage profane eût été bien gratuit. L’empereur serait-il par hasard venu en Italie pour faire triompher la secte sur l’église romaine ?

Le costume pastoral est un voile léger et transparent. Si Clément VI et ses cardinaux n’ont pas su le soulever, il faut les plaindre d’avoir eu si peu de pénétration. Le poète a voulu être deviné, et il l’a été. On trouve une partie de ces allusions expliquée dans l’histoire littéraire d’Italie, de Ginguené.

Mais si Pétrarque, qui était chanoine et attaché aux deux frères Colonna, l’évêque de Lombes et le cardinal, a cru devoir garder quelques ménagemens dans ses églogues, il a rejeté loin de lui toute réserve dans les quatre fameux sonnets (XCI, CV, CVI, CVII). Ces sonnets admirables pour la noble indignation qui les a dictés et pour leur mâle éloquence, sont de la même force que le passage de Dante. La cour pontificale y est appelée l’avare, l’impie Babylone, qui a comblé la mesure du courroux divin ; c’est un nid de trahisons, l’école de l’erreur, le temple de l’hérésie ; elle est asservie à tous les vices, à l’ivresse, à la débauche, et Belzébuth assiste en personne aux fêtes voluptueuses qui s’y donnent. Le poète an-