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les autorités ecclésiastiques s’en aperçussent ; que Dante, Pétrarque et Boccace, ainsi qu’une foule d’autres poètes et auteurs en prose, leurs contemporains, leurs imitateurs et successeurs, étaient affiliés à cette secte ; enfin que tous leurs ouvrages ont été composés dans le but de préparer l’accomplissement des grands projets que l’association méditait, et qu’ils sont écrits dans un style à double entente, ayant un sens patent et un sens mystérieux.

Voilà une étrange découverte. Nous croyions jusqu’ici que ces génies originaux, les patriarches de la littérature italienne, avaient eu une véritable vocation poétique, et qu’inspirés par les muses, ils avaient parlé le langage des dieux. Point du tout : M. Rossetti nous apprend que tout cela, d’un bout à l’autre, n’est qu’un jargon de bohémien.

Mais ce qui est plus étrange encore, c’est de voir la conviction inébranlable de M. Rossetti ; son zèle pour propager sa chimère ; l’importance qu’il y attache ; sa colère contre ceux qui l’ont contredit à l’occasion de son Commentaire sur la Divine Comédie ; et le dévouement avec lequel il se prépare (en pleine sécurité de ne jamais être mis à l’épreuve) à devenir le martyr de ses prophéties apocryphes sur le passé.

M. Rossetti a fait des frais considérables de lecture. Il a compulsé, toujours dans le but de trouver la confirmation de son hypothèse, non-seulement Dante, Pétrarque et Boccace, mais aussi Cecco d’Ascoli, Cino da Pistoia, Francesco Barberini, Fazio degli Uberti, Federigo Frezzi, etc., etc. Il ne se borne pas à cela : il a mêlé l’ordre des templiers, des rose-croix, des francs-maçons, les visions de Swedenborg, la doctrine exotérique et ésotérique des philosophes grecs, les mystères d’Eleusis, et, peu s’en faut, les hiéroglyphes des prêtres égyptiens. De la plupart des choses que nous venons d’énumérer, l’auteur s’est formé une idée tout aussi fausse que de l’ancienne poésie italienne. À côté de cet étalage d’une érudition indigeste et superficielle, la verbosité, trop commune chez les savans de son pays, n’y manque pas non plus. Ce lourd volume, d’une impression serrée, est une mosaïque de citations de toute espèce, d’explications et de notes prolixes, entremêlées de déclamations ampoulées ; le tout formant une lecture passablement fastidieuse.