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SIX ANS.

entraîner à sa suite nos mœurs et la réalité. Cette première place, à qui la donnerez-vous ? À votre voisin ou à vous-même ? à un soldat, à un médecin, à un littérateur ou à un avocat ? Sommes-nous gens à supporter au pouvoir suprême quelqu’un en frac noir, sans aïeux ? La royauté historique et héréditaire n’est-elle pas elle-même un hommage à l’égalité démocratique, puisque également inaccessible à tous, elle se soustrait au concours du mérite et de la volonté ?

Mais, dira-t-on, peut-on s’arrêter en chemin de la logique ? Hélas ! les déviations de la logique constituent proprement l’histoire humaine. Le christianisme a-t-il porté toutes ses conséquences logiques ? la philosophie a-t-elle réalisé tous les postulats de sa dialectique ? La société est le milieu vivant dans lequel l’esprit doit tracer son sillon et sa route ; elle n’est ni mauvaise ni parfaite ; elle est le produit complexe de toutes les facultés et de tous les instincts de l’humanité ; elle est une expression altérée de l’esprit du monde, et en même temps on la voit parfois rebelle aux exigences de cet esprit. Nous la trouvons routinière et philosophe, ancienne et nouvelle, peureuse et hardie, s’agitant dans une rotation continuelle de ses qualités et de ses travers. Quand une révolution terrible a passé sur un pays, elle a justement accompli les ordres de Dieu. Elle a lavé les souillures avec du sang, et balayé les immondices avec des tempêtes ; elle a frappé le sol pour l’ébranler salutairement. Tout a tremblé, tout s’est régénéré dans la ruine et l’agitation ; alors, après la foudre et les orages, la société sort rajeunie de ces tourmentes, gardant néanmoins des souvenirs et des racines dans le passé ; et il n’est pas plus possible d’étouffer sa jeunesse et son avenir, que d’extirper ses fondemens et son histoire.

Quand on suit, dans le passé, les rapports du gouvernement et de la société, on trouve que toujours les changemens de forme ont suivi les développemens du fond, mais n’ont jamais pu ni les précéder, ni les forcer. En France, où les progrès de la société ont été si distincts et si clairs, le gouvernement a été tour à tour la monarchie féodale, la monarchie des états-généraux, la monarchie des parlemens, la monarchie du pouvoir absolu. Quand le régime révolutionnaire expira, Napoléon institua la monarchie démocratique et militaire, qui fut remplacée par la monarchie constitutionnelle. L’homme ne peut pas plus arrêter les transformations suc-