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REVUE DES DEUX MONDES.

Sous l’ancienne monarchie, l’armée était le privilége de la noblesse ; depuis environ cinquante ans, elle est la gloire du peuple. Ici nous parlons du peuple tout entier, paysans et bourgeois, jeunesse de toutes les classes et de tous les rangs. L’émancipation plébéienne doit ses plus grands progrès à l’égalité sous les drapeaux. Les grades militaires sont accessibles à tous ; ils sont la plupart possédés par les classes moyennes, héritières de la noblesse.

L’administration, le barreau, la magistrature, appartiennent au tiers-état, qui dispose ainsi de l’exécution des lois, et il les fait en même temps qu’il les applique.

Les classes moyennes jouissent donc des droits politiques ; elles doivent tout ensemble travailler à les augmenter et hausser leur esprit au niveau de leurs devoirs et de leurs droits. La bourgeoisie, cette moitié de la démocratie, ne saurait oublier qu’il serait périlleux pour elle de rester au-dessous de sa fortune. Elle est libre, car elle tient dans sa main sa puissance ; comme l’a fort bien dit M. Guizot, dans un état social, la liberté, c’est la participation au pouvoir. Oui, la liberté, c’est la puissance ; vivre politiquement, c’est prendre part, en quelque degré que ce soit, au maniement des affaires communes.

Or, le gouvernement est chose nouvelle pour les classes moyennes, et jusqu’à présent elles s’y sont montrées un peu gauches et empruntées. N’a-t-on pas souvent importé dans les affaires publiques l’esprit des transactions privées ? Le ménage et la famille n’ont-ils pas tyrannisé l’état et la patrie ? Voilà l’écueil de la bourgeoisie. Ses ennemis lui reprochent des vues et des vertus petites ; on lui impute la médiocrité de l’esprit et l’égoïsme du cœur ; on lui crie qu’elle est incapable de comprendre et de mener le monde, que la grandeur lui échappe et lui répugne. On lui oppose encore qu’elle est sans entrailles pour ce qui vient après elle, pour les classes ouvrières dont elle est sortie, et qu’elle manque de cette affectueuse charité qui pousse l’homme à tendre la main à son frère pour le faire asseoir à côté de lui.

L’avénement de la bourgeoisie à la direction sociale est légitime, car les déductions des temps et de l’histoire l’ont amené ; mais il reste à se rendre digne de cette fortune d’autant plus grande qu’elle a été plus naturelle et plus lente à venir. Si la bourgeoisie