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REVUE. — CHRONIQUE.

trente-six ans, mis la plume du journaliste à côté de la vieille gloire d’hommes blanchis dans les longs travaux.

Ce n’est pas ici le moment d’examiner la carrière politique de Carrel et d’apprécier le chef de parti, d’autant plus que quelque jugement que l’on porte sur le système qu’il avait adopté depuis quatre ans, sa juste renommée repose sur des fondemens incontestables. Le républicain de l’école américaine peut être sujet à controverse et soumis à une discussion sévère ; mais le publiciste profond et patriote qui avait un amour si intelligent de la gloire et des intérêts de la France, mais le défenseur des droits politiques, qui sont supérieurs à toutes les formes de gouvernement, ne peuvent rencontrer que l’approbation universelle.

Carrel excellait dans les questions de politique étrangère ; il faisait un contre-poids nécessaire à l’entraînement qui nous attire vers l’alliance de l’Angleterre ; il avait le culte de la grandeur nationale, il le nourrissait ardemment dans son ame au milieu de l’allanguissement qui nous énerve aujourd’hui. La France sentait que ses intérêts de gloire et de puissance ne seraient jamais trahis par cet homme, si de la pensée il passait un jour à l’action ; et, à le lire, elle ne s’étonnait pas qu’il fût de la patrie de Corneille.

Tout a été triste dans ces derniers jours. De sinistres rumeurs de complot et d’assassinat sont venues consterner l’opinion, et le ministère n’a pas peu fortifié l’effroi public par la suppression de la revue du 29 juillet. Il est impossible de ne pas croire aux appréhensions sérieuses des ministres, à la sincérité de leurs renseignemens et de leurs craintes ; et il est difficile de prononcer un blâme absolu sur la résolution qu’ils ont prise. Il paraît qu’on a pensé dans le cabinet qu’il serait insensé de venir, pour ainsi dire, provoquer l’extravagance hideuse d’une poignée de scélérats, et de leur offrir les facilités du crime. On cite un mot qu’on attribue à M. de Talleyrand : « qu’il fallait avoir eu l’année dernière le courage de passer la revue, et cette année celui de la supprimer. »

Il faut donc consentir à laisser passer tête baissée cette maladie, ce choléra moral de l’assassinat ; nous croyons bien que ce fléau sera aussi court qu’il est épouvantable, et que ses vapeurs n’infecteront pas long-temps notre atmosphère. Mais il est triste que les menaces du crime puissent tenir en échec toute une société, et peut-être eût-il été plus habile d’achever de déshonorer l’assassinat sous le luxe de son courage.

Au moins nous avons eu pour dédommagemens d’éclatans avantages en Afrique ; le général Bugeaud a rudement malmené Abdel-Kader, il a fait de nombreux prisonniers, a tué à l’ennemi un monde considérable, et continue de pousser l’Arabe jusqu’aux confins de la régence. Voilà de notables résultats qui consolideront notre colonie et dont nous ne saurions trop nous réjouir. Certes nous sommes loin d’être les partisans politiques du général Bugeaud ; nous nous rappelons ses incartades de tribune, et l’inconvenance de ses attaques contre la presse ; mais dès qu’il s’agit du service de la France contre l’étranger, tous les dissentimens doivent être oubliés. Hors de France, il n’y a plus à considérer ni opposition, ni ministère ; les opinions ne sont rien, les faits et les services prévalent seuls. En Angleterre, les tories, les whigs, les radicaux oublient tout