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rie intime. L’empereur Alexandre lui reconnut une grande aptitude pour les négociations, une intelligence sérieuse, enfin cet esprit souple, érudit et facile, si essentiel pour seconder la volonté du maître. Pendant les grandes guerres de 1805, couronnées par Austerlitz, pendant la campagne de 1807, et lors de l’entrevue d’Erfurth, le comte de Nesselrode chercha surtout à plaire à l’empereur Alexandre, trop profondément pénétré de l’excellence de ses propres idées pour souffrir une impulsion qui n’eût pas été la sienne.

C’est à partir de l’entrevue d’Erfurth que trois pensées se disputent plus spécialement la diplomatie du cabinet de Saint-Pétersbourg : l’une, entièrement russe, qui voyait avec douleur l’alliance d’Alexandre avec le chef du gouvernement français. Il y avait haine du vieux Moscovite contre la civilisation du midi, de la vieille noblesse contre de glorieux parvenus. On ne voulait pas une rupture ouverte avec la France ; mais les engagemens pris par le traité d’Erfurth, les intimités nées entre les deux couronnes sous la magique parole de Napoléon, déplaisaient à l’impératrice-mère, aux successeurs de ces boyards qui prétendaient encore au gouvernement féodal des provinces russes. La seconde école était en quelque sorte grecque et orientale : elle fut plus tard représentée par le comte Capo d’Istria. Par le traité d’Erfurth, Napoléon avait voulu satisfaire quelques-unes des vieilles ambitions de la Russie : dans ce nouveau partage du monde, il concéda à Alexandre la réalisation pleine et entière des idées de Catherine, Constantinople dans quelques années, Ispahan et la Perse à une époque plus reculée ; on parla de l’indépendance de la Grèce et de la possibilité d’une insurrection parmi les populations helléniques et syriaques. Il y avait long-temps que ces projets roulaient dans la tête de Napoléon. Général de l’armée d’Égypte, n’avait-il pas songé dès-lors à réchauffer les passions chrétiennes pour soulever les Koptes et les Syriaques contre la domination ottomane ? On sent qu’au principe de l’école diplomatique grecque devaient se lier quelques maximes de liberté ; Capo d’Istria en demeura l’expression auprès d’Alexandre. La troisième école diplomatique fut, en quelque sorte, fondée par le comte de Nesselrode ; elle consista à prendre le milieu entre toutes ces idées. Le comte de Nesselrode ne fut jamais dévoué exclusivement aux plans de l’entrevue d’Erfurth ; il ne se laissa pas séduire par les rêves gigantesques des