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DIPLOMATES EUROPÉENS.

Souwarow. La bataille de Zurich mit fin aux espérances de la seconde coalition ; mais les régimens russes avaient entrevu l’Italie, ils avaient touché la Suisse. Comme les barbares des iiie et ive siècles, ils rappelaient, aux longues soirées de leur froide patrie, qu’il y avait de grandes villes de marbre au midi de l’Europe, que ces belles terres produisaient des fruits savoureux, que de magnifiques récoltes se déployaient sur d’immenses plaines. Ces souvenirs et ces regrets sont encore un des dangers de la civilisation moderne.

La carrière diplomatique de M. de Nesselrode s’ouvrit un peu plus largement lors de l’ambassade de M. de Marcoff à Paris, sous le consulat ; époque merveilleuse de force et de jeunesse, où tout se retrempait, gouvernement, institutions, systèmes politiques. Le premier consul put facilement ouvrir des négociations avec la Russie. Toutes les fois qu’un gouvernement régulier s’est établi en France, l’Europe n’a jamais hésité un moment à le reconnaître. M. de Nesselrode demeura comme conseiller d’ambassade à Paris ; il vit naître et se développer dans toute sa splendeur la puissance de Bonaparte. Qui lui aurait dit alors que, quinze ans plus tard, ce serait lui, comte de Nesselrode, chancelier d’Alexandre, qui présiderait aux actes de déchéance, et sanctionnerait le décret du sénat de 1814, qui rétablissait les Bourbons ?

Paris était, à cette époque du consulat, un séjour de plaisirs et de fêtes. Le traité d’Amiens venait d’être conclu ; la paix avait été conquise par la victoire ; on avait soif de distractions et de repos. L’esprit de bonne compagnie commençait à se montrer, on en recherchait le code et les traditions, on en caressait les débris ; il y avait une petite cour, aux Tuileries, chez Joséphine ; on recueillait avidement tout ce qui ressemblait à l’ancienne étiquette. Les ambassadeurs seuls avaient des livrées, et ces beaux équipages brillaient au milieu des cortéges quasi-républicains, composés d’une longue suite de fiacres dont on cachait les numéros. Napoléon réservait encore toute sa magnificence pour les fêtes militaires, ces grandes revues du Carrousel, où se déployaient, au milieu des flots de poussière, les beaux escadrons des guides et les grenadiers de la garde consulaire. Ce luxe des ambassades, la noblesse d’extraction, jetaient sur tout le personnel diplomatique un vernis d’aristocratie qui produisit un engouement général. De là ces bonnes fortunes qui,