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SOCIALISTES MODERNES.

il faisait de la poésie et non de la logique, quand il chantait un hymne aux puissans, aux philosophes, aux savans, aux artistes en tout genre, pour qu’ils se missent à la tête du culte régénéré, pour qu’ils le rendissent majestueux et beau, pour qu’ils le relevassent au moyen de tous les prestiges et de toutes les magnificences. Cette théorie péchait par les deux bases, car il fallait tout à la fois que les privilégiés du génie voulussent commander, et que les autres se résignassent à obéir.

Si cette organisation indécise et vaporeuse laisse beaucoup à désirer, en revanche, toute la partie critique du Nouveau Christianisme est un travail d’une étude profonde et d’un beau caractère. S’attaquant d’abord au catholicisme, Saint-Simon accuse le pape et son église d’hérésie sur trois chefs : 1o  l’enseignement vicieux des laïques ; 2o  la mauvaise direction donnée aux études des séminaristes, et, par suite, l’ignorance et l’incapacité religieuse des desservans du culte ; 3o  l’autorisation occulte ou patente accordée à deux institutions diamétralement opposées à l’esprit du christianisme, celles de l’inquisition et des jésuites : trois erreurs, trois hérésies capitales du catholicisme, destructives du principe fondamental de la révélation chrétienne : « aimez-vous les uns les autres ; » trois obstacles dirimans à l’amélioration du sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Si le pape est hérétique, Luther ne l’est pas moins. Luther, aux yeux de Saint-Simon, est hérétique au premier chef, pour avoir, quand il était maître de sa formule, quand il avait table rase devant lui, proclamé une morale très inférieure à celle qui peut convenir aux chrétiens dans l’état actuel de leur civilisation ; il l’est encore pour n’avoir pas, comme Jésus le disait, organisé l’espèce humaine dans l’intérêt de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Au second chef, Luther est hérétique pour avoir adopté un mauvais culte, pour n’avoir point appelé, à l’aide de sa réforme, tous les arts qui charment la vie, la poésie, la musique, la sculpture ; pour avoir prosaïsé les sentimens chrétiens ; pour s’être privé de l’illusion sensuelle, de l’émotion scénique, que le catholicisme avait si bien mises en œuvre. Enfin, Luther est hérétique au troisième chef, parce qu’il ordonne de lire et de ne lire que la Bible, lecture exclusive, immorale souvent, féconde en révélations sur les turpitudes humaines, nommant de ces vices dont l’existence