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SOCIALISTES MODERNES.

tion de la société européenne, l’Industrie, l’Organisateur, le Politique, le Système Industriel, le Catéchisme des industriels. La publication de ces divers ouvrages, d’un débit difficile, n’eut lieu qu’à la suite de démarches humiliantes et longues. Méconnu alors, Saint-Simon se voyait, presque toujours obligé, d’aller quêter, de porte en porte, l’aumône d’un éditeur. Ces peines ne furent pas les seules. Plus d’une fois l’unique héritier d’un des plus beaux noms de France se vit réduit à l’ordinaire du pain et de l’eau ; plus d’une fois il se passa de feu l’hiver pour arriver, à l’aide de privations personnelles, aux honneurs d’une coûteuse et ingrate publicité. Toutes ces douleurs, le Messie nouveau les avait prévues, il ne recula devant aucune d’elles. Un jour pourtant, un seul jour, la tristesse le vainquit ; l’homme écrasa le dieu. Saignant sur sa croix, il demanda grâce ; et comme pas un ami ne se trouvait là pour le percer d’une lance, il se rendit ce service à lui-même avec l’arme plus moderne du pistolet. Les têtes puissantes résistent mieux, à ce qu’il paraît, que les têtes vulgaires. Saint-Simon survécut au suicide. La balle n’avait atteint aucune des parties organiques, il en fut quitte pour la perte d’un œil. S’il était mort de son fait, son autorité à venir en restait singulièrement compromise. D’ailleurs le complément de sa doctrine eût manqué à ses apôtres ; le Nouveau Christianisme n’existait pas. Le Messie en revint donc, valétudinaire et défiguré.

On a vu Saint-Simon débuter par l’expérimentation personnelle pour arriver à la publication par la voie de la presse, et d’homme du monde devenir ainsi polémiste. Voici maintenant qu’il quitte l’une et l’autre méthode pour le rôle d’évangéliste et de prophète. Il déserte la pratique de la vie, la tribune de la publicité pour les prédications de la chaire. « En attaquant le système religieux du moyen-âge, disait-il à M. Olinde Rodrigues avant de mourir, on n’a réellement prouvé qu’une chose : c’est qu’il n’est plus en harmonie avec les progrès des sciences positives ; mais on a tort d’en conclure que le système religieux devait disparaître en entier ; il doit seulement se mettre d’accord avec les progrès des sciences. » Puis il ajoutait par une sorte de retour vers la réalité : « La dernière partie de nos travaux sera peut-être mal comprise. »

Cette dernière partie des travaux de Saint-Simon, c’est le Nouveau Christianisme.