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SOCIALISTES MODERNES.

rent, et je puis dire contraire. Étudier la marche de l’esprit humain, pour travailler ensuite au perfectionnement de la civilisation, tel fut le but que je me proposai. »

La révolution française trouva Saint-Simon en Espagne. De retour à Paris, et résolu à se tenir à l’écart des affaires politiques, il tourna son activité vers des spéculations et trafiqua sur les domaines nationaux, en compagnie d’un Prussien, le comte de Rœdern. Saint-Simon déclare dans son auto-biographie, et sa vie justifie ce dire, qu’il ne désirait pas la fortune comme but, mais seulement comme moyen, « Fonder une grande école scientifique et un grand établissement industriel, voilà quelle fut mon ambition, » écrit-il lui-même.

Sa première association ne fut ni longue ni heureuse. En 1797, il se retira des affaires, ne prenant pour sa part que 144,000 livres. Le reste, qu’il laissa au comte de Rœdern, fut perdu. Dès-lors Saint-Simon s’interdit toute autre entreprise du même genre. La période commerciale de sa vie était close ; il abordait la période scientifique et expérimentale, la plus rude, la plus opiniâtre de toutes, celle où le Christ nouveau devait ceindre la couronne d’épines. Pour s’initier aux rudimens de la science, il se fit écolier à la manière des grands seigneurs, en attirant les professeurs chez lui, au lieu d’aller chez eux. Logé d’abord en face de l’École Polytechnique, il reçut à sa table des physiciens pour apprendre la physique, des astronomes pour apprendre l’astronomie ; il sema çà et là, dans tout le corps enseignant, des pièces d’or qu’on oubliait de lui rendre. Quand il eut acquis de la sorte assez de notions mathématiques, il se rabattit sur les physiologistes, et déménagea pour s’établir près de l’École de Médecine. Ainsi il étudia, non sans quelques frais, mais avec toutes ses aises, d’une part la science des corps bruts, d’autre part la science des corps animés.

L’expérience qui suivit fut celle des voyages. Saint-Simon parcourut l’Angleterre et l’Allemagne, ne rencontrant dans la première aucune idée capitale et neuve, surprenant l’autre au milieu de sa philosophie mystique, état d’enfance de la science générale. Il ne rapporta rien de cette expérience, si ce n’est la preuve personnellement acquise d’une situation arriérée et confuse. C’est à l’époque de cette tournée européenne qu’il faut rattacher la visite étrange que Saint-Simon fit à Mme de Staël, et sa proposition plus étrange