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Excepté le donjon occupé par le captif, et un autre qui sert de prison pour les femmes, et dont mon guide eut grand soin de me tenir éloigné, le château est inhabité ; les cigognes en ont pris possession ; c’est l’oiseau sacré des musulmans, et les tuer est un sacrilége. La garnison actuelle se compose d’un corps de garde de trois ou quatre soldats qui n’ont rien à faire qu’à dormir. Quelques masures groupées autour de la forteresse en ruine, forment une espèce de faubourg qui a sa mosquée particulière. L’herbe croît dans l’enceinte, comme dans la cour d’un cloître désert.

Du château on domine, du même coup-d’œil, toute la ville ; je découvris de là un quartier où le hasard ne m’avait pas conduit et qui est le plus misérable de Tanger. Il n’y a pas même de maisons, mais des huttes de roseaux recouverts de boue en guise de ciment. C’est comme un village ou plutôt un adouar au milieu de la cité. Vue ainsi de haut, la ville est pittoresque ; le rapprochement des maisons moresques et des palais consulaires forme un contraste piquant, et quand les pavillons flottent dans l’air, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ondoient au soleil. Les consuls sont fort jaloux de leur droit de bannière, c’est à qui élèvera le plus haut la sienne, et les deux puissances encore aujourd’hui tributaires du Maroc, la Suède et le Danemarck, ne sont pas sur ce point les moins susceptibles et les moins fastueuses. La mer ajoute à la beauté du coup d’œil ; cette mer, la plus belle, la plus poétique du monde, est le détroit de Gibraltar. Ce n’est déjà plus la Méditerranée, et ce n’est pas encore l’Océan : c’est la grace de l’une, son azur limpide et argenté ; c’est la majesté de l’autre, ses longues lames et ses grands coups de vent. La côte d’Europe est imposante ; Tarifa blanchit au pied des montagnes d’Andalousie, comme un nuage vaporeux.

La vue de terre a aussi ses prestiges ; la campagne de Tanger est riante, sinon grandiose. Les jardins des consuls, situés autour et très près de la ville, l’environnent d’une ceinture de verdure fraîche et parfumée ; mais la végétation n’est guère plus africaine sur cette rive que sur l’autre. Je n’y ai pas vu un seul palmier ; seulement les figuiers de Barbarie, appelés par les Maures figuiers des chrétiens, karmous-al-Ansaran, prennent un développement prodigieux ; il y en a un, entre autres, dans le jardin de France, dont le tronc est énorme ; et en fait d’arbres exotiques, le jardin de