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LE MAROC.

des formes à vrai dire peu attrayantes. On sait que l’embonpoint est la première condition de la beauté moresque ; les plus grosses sont les plus belles. Pour achever de se défigurer, elles s’enveloppent les jambes de bandelettes de toile affreuses à voir. Je ne saurais parler que des femmes que j’ai pu rencontrer dans les rues ou dans les champs. Les mystères de l’intérieur sont inaccessibles aux Européens encore plus qu’aux enfans du prophète.

La chose qui frappe le plus, après le costume, c’est le silence. Il est tel qu’on se croirait au village ; encore le village a-t-il sa cloche, la ville musulmane n’en a point. De deux heures en deux heures, le muedzin monte sur le minaret (soma) ; il arbore un étendard blanc, et appelle le peuple à la prière d’une voix monotone et tremblottante. On ne peut rien entendre de plus triste que cette voix aérienne, surtout la nuit. Tanger n’a qu’une mosquée un peu apparente, qui est surmontée d’un haut minaret carré, recouvert de briques vertes, qu’on voit reluire au soleil comme les écailles d’un lézard gigantesque. La mosquée n’a pas de porte. Les croyans y pénètrent à toute heure du jour et de la nuit en laissant leurs babouches à l’entrée. Je n’ai pas remarqué que le prêtre portât un costume particulier ; mais ce qui ne m’a point échappé, c’est le regard dévorant qu’il jetait sur moi toutes les fois que je passais devant sa mosquée ; ce qui l’indignait le plus, c’était de me voir garder mes bottes. Quant à s’introduire dans le sanctuaire, il n’y faut pas même songer ; un chrétien qui entre volontairement dans une mosquée est aussitôt conduit chez le kadi, et n’a d’autre alternative que l’abjuration ou la mort. Là-dessus la loi mahométane est si rigide, que c’est par une faveur toute spéciale que les ambassadeurs obtiennent du sultan de Constantinople de visiter une fois Sainte-Sophie. Il est d’usage d’en faire la demande à l’audience de réception. Le peuple turc ne voit pas sans horreur cette profanation ; on connaît ce trait d’une femme qui sauta furieuse à la face de l’ambassadeur russe et le souffleta, parce qu’étant dans la mosquée, il avait, sans y prendre garde, craché par terre. Au Maroc, ce serait bien pis, et il n’y a pas d’ambassadeur, si puissant fût-il, qui osât forcer la consigne. Il fallait voir l’attitude menaçante des passans lorsque je me permettais seulement d’approcher du seuil sacré pour mieux voir l’intérieur. Je ne serais pas resté là impu-