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sulter de loin, et on ne vient pas les mains vides. Tour à tour sur le trépied ou dans l’écurie, hier ils purgeaient un chameau, aujourd’hui ils prophétisent les destinées du monde. Dans l’intervalle de leurs fonctions, ils prient, jeûnent, et se livrent aux douceurs de la vie contemplative, sans souci du lendemain. Chose étrange ! leur sainteté est héréditaire ! — on a vu qu’ils ne font pas vœu de célibat ; — elle passe du père aux enfans comme un titre de noblesse ; le fils d’un santon est santon, comme le fils d’un marquis est marquis ; c’est le trait le plus curieux de cette singulière institution. Peut-être n’est-ce là qu’une application du principe des castes héréditaires de l’antique Égypte. Je ne sache rien d’analogue dans les coutumes religieuses de l’Europe.

La demeure des santons est réputée sainte ; un drapeau rouge la signale à la vénération publique, et les Juifs doivent passer devant, pieds nus, comme devant les mosquées. Leur mort est regardée comme une calamité publique. On les enterre tantôt au bord des chemins, tantôt sur les montagnes, et dans les lieux retirés et solitaires ; leurs tombeaux, également ombragés d’un drapeau rouge, deviennent des lieux de pèlerinage dont l’approche est interdite aux infidèles. Ce sont aussi des lieux d’asile au seuil desquels expirent toutes les lois humaines, et qui rendent inviolable quiconque s’y réfugie. Le plus audacieux tyran n’oserait en arracher un criminel. C’est le droit d’asile des temples de la Grèce et des églises du moyen-âge. Partout l’homme a senti le besoin d’échapper à la tyrannie de l’homme ; poursuivi par la société, il se réfugie au sein de Dieu.


La vénération du peuple maure pour ses santons prouve la vivacité de sa foi et son attachement aux croyances religieuses. Dernier rameau de l’arbre musulman, et le plus éloigné du centre, il est séparé par l’Afrique entière du tombeau de son prophète, mais l’épouvantable distance et les innombrables dangers du voyage ne l’empêchent pas de faire, lui aussi, son pélerinage à la Mecque. Un simple coup d’œil jeté sur la carte peut donner une idée des fatigues et des périls de cette gigantesque entreprise. Chaque année la sainte caravane part de Fez sous la conduite de l’émir-al-hodjahs, espèce de dictateur investi, durant tout le voyage, d’une autorité absolue. Elle franchit le petit Atlas et pénètre dans le