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LE MAROC.


Rangés autour du mukaddem, et la tête courbée en avant jusqu’aux jambes de son cheval, ils s’abandonnaient, avec une fureur qui allait jusqu’au vertige, aux mouvemens les plus bizarres, et tout leur corps se tordait en contorsions frénétiques. Au lieu de les calmer, la musique ne faisait que les exciter, en précipitant la mesure, et le peuple les animait encore par ses cris.

Dans cet état d’irritation, les Iemdoucha deviennent féroces. Ils se jettent sur les animaux ; ils les déchirent avec les dents et les ongles, et les mangent ainsi crus et sanglans. J’en ai vu dépecer de cette manière un mouton ; on en a vu dévorer jusqu’à des ânes. C’est là du reste leur spécialité et leur superstition particulière. Ils se vantent en outre, nouveaux Psyles et fils peut-être des anciens, de toucher impunément à tous les poisons, et ils jouent sur les places publiques avec des serpens. À défaut d’animaux, ils se ruent quelquefois sur les Juifs, pour lesquels ils sont, on le conçoit, un objet d’épouvante ; le peuple d’Israël se cache en tremblant, à la première note de la formidable musette. Il n’est pas prudent non plus pour les chrétiens de se trouver sur le passage de ces forcenés, et on les évite soigneusement. Leur rage est quelquefois telle qu’on est obligé de leur faire une haie de deux rangs de soldats pour les contenir. Il paraît que toute cette fureur carnassière est jouée, et les esprits forts parlent des Iemdoucha comme d’une secte qui exploite par ces simagrées effroyables la crédulité du peuple. Quoi qu’il en soit, ils sont en grande vénération ; et pressée autour du mukaddem toujours impassible et muet, la population lui baisait religieusement le genou. Il faisait, ce jour-là, son entrée à Tanger ; le soir il y eut de nouvelles processions aux flambeaux et force coups de fusils, comme aux processions espagnoles.

Ces sectes ou confréries sont nombreuses au Maroc ; je ne saurais dire en quoi elles diffèrent. J’ai vu une procession d’Aïsaoua, sectateurs de Sidi Ben-Aïsa ; ils m’ont paru moins féroces que les Iemdoucha, et on dit les Gilala plus doux encore. Les Aisaoua ont un vaste sanctuaire à Fez ; c’est la maison centrale de la communauté ; vers le mois de juillet, ils se rendent par grandes

    s’appelle tabalé. Ainsi le mot a à peine changé. Mais la musette murcienne se nomme charamita. Peut-être les orientalistes lui trouveront-ils quelque étymologie arabe que j’ignore. Je remarque en passant que le tebel est le grand tambour ; le petit ou tambourin s’appelle haïta.