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plus contre les vents moins dangereux de l’est. Au départ des Anglais, Tanger rentra sous l’obéissance des sultans du Maroc, et y est resté. C’est une ville de neuf à dix mille habitans, dont un cinquième à peu près est composé de Juifs. Les Juifs n’y sont pas renfermés, comme ailleurs, dans un quartier à part ; ils sont libres et vivent confondus avec la population maure. Ils ne se distinguent d’elle que par le vêtement ; toutes les couleurs vives leur sont interdites ; ils sont condamnés au noir, en signe d’opprobre et de servitude. En Espagne, ils étaient condamnés au jaune ; ils n’ont fait que changer de livrée, ils n’ont pas changé de condition ; et si les musulmans ne les brûlent pas, ils les abreuvent d’outrages.

La première chose que je vis en entrant dans la ville infidèle fut un petit Maure de neuf à dix ans qui tirait par sa barbe blanche un vieux Juif bien humble et bien résigné ; et comme le fils d’Israël n’ôtait pas assez vite ses babouches en passant devant la mosquée, un soldat lui alongea un coup de pied sans se déranger de son chemin, et une vieille femme souleva son voile pour lui cracher au visage. Le pauvre Hébreu souffrait tous ces mépris sans murmure ; la moindre velléité de résistance pouvait lui coûter la vie ; on l’aurait assommé sous le bâton. Il s’échappa à travers un dédale de petites rues étroites et tortueuses, et mit ainsi fin à sa persécution. Encore dut-il s’estimer heureux de s’en être tiré à si bon marché ; il s’en fallut de quelques minutes à peine qu’il ne tombât au milieu d’une procession de Iemdoucha ou Hamdoucha, et alors c’eût été bien pis : le malheureux courait risque d’être massacré. Les Iemdoucha suivent la loi de Iemadscha ; ils forment une secte puissante et la plus redoutée peut-être de tout l’empire. Le hasard me servait bien en me les faisant rencontrer dès le début, quoique la rencontre ne soit jamais sans danger. On ne peut rien se figurer de plus sauvage. Le chef, en maure mukaddem, était un grand vieillard enveloppé tout entier dans un vaste haïk. Il montait un cheval blanc et portait un étendard à la main, comme les hermandades espagnoles, qui n’ont peut-être pas d’autre origine ; il affectait une majestueuse immobilité, tandis que ses suivans, à pied et demi-nus, exécutaient au son de la musette (agual) et du tambour (tebel[1]) des danses ou plutôt des trépignemens de possédés.

  1. J’ai vu exactement les mêmes instrumens dans le royaume de Murcie, où le tebel