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par des défiances. Il porta si loin le soupçon, qu’il éleva son fils dans la crainte et dans l’isolement ; il ne lui permettait pas de s’entretenir avec sa fille, à laquelle seule il se confiait, et qui seule soulageait sa vieillesse accablée d’infirmités et de revers. Au moment où il fallut quitter la puissance qu’il avait voulu étendre et qu’il avait craint de perdre, il rejeta sur la Providence son propre ouvrage, l’incapacité de son successeur. »

Philippe II avait imposé la stérilité à l’intelligence, Philippe III atteignit la terre elle-même. Depuis long-temps huit cent mille juifs chassés d’Espagne avaient emporté tous les germes d’une industrie naissante ; plus d’un million de Maures, chassés en trois jours, firent alors un désert de la partie la plus fertile du royaume.

Sous Philippe IV, un ministre entreprenant voulut relever sa patrie de son irrémédiable déchéance : « il ne vit pas que son repos était de la paralysie, et que remettre en mouvement ce pays malade, c’était le faire tomber ; » sa chute en effet fut profonde : la France et la Hollande lui enlevèrent des provinces, l’Angleterre des colonies ; le Portugal recouvra et maintint son indépendance ; la révolte éclata au royaume de Naples et jusqu’au sein de la Catalogne. Le sang de Charles-Quint s’était épuisé comme celui de Charlemagne ; et son arrière-petit-fils remit, en mourant, sa couronne à un être dégradé de corps et d’esprit, roi idiot d’une monarchie décrépite.

La vie de Charles II se consuma dans les sales intrigues des factions étrangères, pour se disputer un pays dont l’intérêt n’était pas plus consulté que les vœux. Les prétendans arguaient, non de l’assentiment national, mais de la volonté du roi devenue la loi suprême, ou de la loi fondamentale en matière de succession, institution funeste à laquelle on doit remonter comme à la source principale des calamités de l’Espagne.

M. Mignet professe une opinion contraire, et comme il y a grand profit à tirer des erreurs d’un homme d’esprit, nous donnons ses raisons, qui, si elles ne nous ont pas convaincu, pourront en convaincre d’autres.

« Il ne restait à l’Espagne que sa loi de succession pour la tirer de son anéantissement. Il fallait que le continent vînt de nouveau à son aide, et que l’esprit européen, s’y introduisant à la suite d’une