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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE EN ANGLETERRE.

et en a fait tomber le ciseau. Serait-ce que, couronné du laurier académique, satisfait de ce qu’il a obtenu de gloire méritée, il juge son œuvre accomplie, et ne plus rien devoir au présent ni à l’avenir ? Il se tromperait fatalement alors. Shakspeare ne lui a-t-il pas dit quel grand calomniateur est le Temps, et comme il obscurcit promptement les noms les plus illustres, qui ne se rappellent pas eux-mêmes à leurs contemporains par une action de chaque jour ?

M. Baily est le seul des académiciens sculpteurs qui ne se soit point profondément endormi dans son fauteuil. Malheureusement, tout ce qu’il a produit est loin d’être parfait. Sa Nymphe assoupie, son morceau principal, me choque surtout et me mécontente. Est-ce là une nymphe d’abord ? Cette fille bouffie, aux membres robustes, a-t-elle été jamais de ces légères et sveltes beautés qui suivaient Diane à la chasse et devançaient les biches à la course ? Et puis, à ne la prendre que pour une très réelle et saisissable mortelle d’aujourd’hui, cette femme ne dort pas ; jamais vous ne la verrez s’éveiller. Elle est ensevelie dans son lit de marbre ; elle est morte.

Au moins l’Évêque de Limerick, du même artiste, offre-t-il une belle attitude pensive et un fidèle ressouvenir de cette profonde expression recueillie qui rendait si frappante la physionomie du savant prélat.

C’est une ingrate et inutile besogne que de critiquer de laborieux efforts auxquels le succès n’a point répondu. Je passe devant nombre de figures et de groupes mythologiques sans signification, sans caractère, et je m’approche de la foule des bustes.

Je regrette d’abord de trouver parmi eux, les dépassant à peine de la tête, une petite statue de lord John Russell, drapée en sénateur romain. Lord John Russell sculpté de cette taille et sous ce costume, voilà une idée doublement malheureuse ! Eût-il voulu grossir sa collection de caricatures anglaises, M. Dantan ne s’y fût pas pris autrement. Rien de moins noble, rien de moins grandiose, que l’air et les attitudes du noble lord, et par conséquent rien de moins propre à la toge antique. En outre, la stature de ce ministre est si exiguë, si chétive ; l’avez-vous vu une fois, vous avez gardé de sa personne un si imperceptible souvenir, que vous avez bonne envie de le croire représenté ici de grandeur naturelle. Il se peut que le célèbre fils du duc de Bedford ait eu la faiblesse de se com-