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conspire dans le boudoir de Sceaux, avec quelques pédans et quelques gentilshommes endettés ; le duc de Saint-Aignan riposte en Espagne par une contre-conspiration, dont le principal personnage est la nourrice de la reine.

Dubois, supérieur à tout ce monde, parce qu’il est mieux assis dans sa corruption, prend sans peine le premier rôle ; il lance dans toutes les cours des nuées de gens d’église et de gens de lettres qui servent le maître et le valet, selon leur goût. 8,000,000 et cinq années d’angoisses sont dépensés à procurer au misérable la barrette de cardinal. Lafitau, Tencin, Rohan, négocient successivement à Rome ce grand sacrilége ; des ambassadeurs spéciaux vont à Vienne, passent et repassent les Pyrénées, pour intéresser le roi d’Espagne et l’empereur à la plus grande affaire de l’époque ; l’un d’eux, usé par les soucis et les fatigues, meurt au champ d’honneur comme Roland à Ronceveaux[1] ; George II d’Angleterre et Jacques III le famélique se rencontrent dans cette négociation, et la conquête du chapeau occupe la diplomatie de la régence, autant que celle de la Flandre et de la Franche-Comté avait occupé la diplomatie de Louis XIV.

Celle de Louis XV se distingua par son incessante activité et sa perpétuelle impuissance. Il n’y avait plus dans la chancellerie française ni bases arrêtées, ni longs projets d’avenir. La direction des affaires appartint successivement à tout le monde, et l’on essaya un peu de tous les systèmes, en ne retirant, ainsi que cela devait être, de ces tentatives contradictoires que de constantes humiliations et une déconsidération croissante.

On rêve un instant l’anéantissement de l’empire ; cette idée est embrassée avec ardeur, le roi de Prusse l’inspire et la fomente, prenant en pitié l’incapacité politique et l’imprévoyance de ses alliés. Dans ce pêle-mêle de négociations, lui seul suit invariablement ses vues, sachant y faire concourir les évènemens et les hommes, les intrigues des cabinets et les engouemens de l’opinion. Frédéric II renouvelle à son profit la position qu’au début de son règne l’habileté de son ministère avait faite à Louis XIV, il poursuit contre l’empire les projets que celui-ci avait formés contre l’Espagne.

  1. L’abbé de Mornay-Montchevreuil, mort dans les Pyrénées en revenant de sa mission à Madrid.