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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

doirs des maîtresses. Cependant, lorsque l’on veut comprendre les annales de la monarchie, non d’après les œuvres académiques, mais dans leur réalité pratique et ignorée, lorsque l’on tient à saisir la physionomie vivante de l’ancien régime, c’est à l’hôtel de la rue des Capucines que l’on doit commencer cette étude entravée jusqu’ici par une réserve rarement justifiée.

Ce fut une tradition constante pour tous les princes de la maison de Bourbon, que le gouvernement se résume dans la direction des affaires étrangères, et que le roi ne peut abandonner la conduite de celles-ci, sans compromettre le sort de sa couronne, et sa sûreté personnelle. Personne n’ignore que Louis XV lui-même, ce roi de sérail, qui, du fond du Parc-aux-Cerfs, livra le Canada et la marine française à l’Angleterre, laissa partager la Pologne, et voyait de sang-froid venir la révolution, avait une diplomatie secrète fort active, devant laquelle tremblèrent le duc de Choiseul et le duc d’Aiguillon ; agence mystérieuse dont le comte de Broglie fut le chef, Favier le publiciste, et qui enrôla dans sa franc-maçonnerie politique M. de Vergennes et le chevalier d’Éon. Conçoit-on dès-lors que des écrivains aient pu se croire en mesure de tracer un tableau quelque peu sérieux des derniers siècles, sans la connaissance des seuls documens qui pussent les faire sortir des banalités historiques ?

Si depuis quelques années, les publications successives des travaux du général Grimoard, de Lemontey et de Mazure, celle des mémoires du duc de Saint-Simon surtout, ont répandu quelques idées moins erronées, rien de plus inexact encore que l’impression généralement conservée en France et en Europe, du gouvernement de Louis XIV[1]. Personne n’ignore sans doute que ce grand roi gagna des batailles grâce aux généraux qui conduisaient

  1. On pourrait citer à l’appui de cette assertion un livre récemment publié en Angleterre sur le sujet même qui nous occupe, par un noble écrivain (History of the war of the succession in Spain, by lord Mahon, London, 1832). Dans cet ouvrage, remarquable comme œuvre littéraire, l’auteur ne semble s’être dégagé d’aucun des préjugés traditionnels contre la France, qui forment le fonds de l’opinion politique à laquelle il appartient. Il s’élève, par exemple, avec violence contre la paix d’Utrecht, non moins impérieusement réclamée par les intérêts de la Grande-Bretagne que par les nôtres, et que les collisions de la régence avec la cour d’Espagne devaient bientôt justifier aux yeux des cabinets les plus hostiles à l’établissement de la maison de Bourbon à Madrid, comme à ceux des publicistes les plus prévenus contre l’extension de l’influence française.