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LES CÉSARS.
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Il eut soin, par son testament, de les exclure d’avance de son tombeau, et quand le peuple, moins sévère et moins romain que lui, osa, après cinq ans, demander leur rappel, il lui répondit par cette imprécation : « Je vous souhaite de pareilles femmes et de pareilles filles. »

Ainsi s’achevait cette triste fin d’un beau règne, cette douloureuse vieillesse compromise dans une lutte inégale contre son temps, et qui avait fini par le mettre en hostilité avec son pays, avec sa famille, avec lui-même. César et lui avaient, comme cela n’est que trop fréquent, poussé tour à tour trop loin deux principes contraires ; César, méconnaissant ce que l’esprit romain avait encore de puissance, avait voulu faire une Rome cosmopolite, la faire grecque, gauloise, espagnole, tout plutôt que romaine, flétrir son sénat, se jouer de ses institutions, la traiter enfin comme, après le 18 brumaire, Bonaparte pouvait traiter la république avortée de l’an iii. Auguste, et cela est toujours, éprouva la réaction de ce mouvement, il se fit ultra-romain, soutint de la main l’aristocratie même, si pesamment écroulée ; voulut relever, sinon la foi, du moins les temples, faire une Rome romaine, comme l’avait déjà tenté Sylla.

Il ne faut pourtant pas se tromper, ni méconnaître l’étonnante puissance de ce génie romain : les combinaisons d’origine et de position qui avaient donné son caractère et son individualité essentielle à une petite peuplade italienne campée dans les marais du Tibre, avaient certainement produit un des plus miraculeux phénomènes de la nature de l’homme. La forme gouvernementale, qui est sans aucun doute la plus puissante pour imprimer aux choses un caractère de grandeur, d’accroissement et de durée, l’aristocratie une, despotique, héréditaire, mais en même temps sans cesse rafraîchie, et renouvelée dans les rangs du peuple, était née de ce caractère si un et si homogène à lui-même, mais doué aussi d’une force si grande d’abstraction et d’absorption. Il y a eu quelque chose de tout cela dans l’aristocratie d’Angleterre, dans la noblesse de Venise, dans le sénat de Berne, institutions qui ont été d’une longue vie et d’une grande puissance, parce qu’elles ont eu l’unité de l’homme sans avoir sa courte durée.

Mais au temps dont nous parlons, l’aristocratie romaine ne subsistait plus ; les plus grandes familles étaient éteintes ou perdues de