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LES CÉSARS.

mellement modifiées. Que le pouvoir est peu de chose, mon Dieu, et voyez combien peu Auguste se faisait obéir ; combien il est vrai qu’il n’y a ni un temps ni un pays qui ne sache s’insurger lorsqu’on l’attaque dans ce qu’il aime ! Son admirable parasite, son poète Horace, avait bien pu chanter « la loi maritale, » déplorer « ce siècle fécond en crimes, qui avait souillé les mariages, les familles, le vieux sang romain. » Il avait bien pu chanter Rome, ramenée tout à coup à l’âge d’or par la loi Pappia Poppea (les noms des deux consuls célibataires) ; mais sa complaisance pour Auguste n’était pas allée au-delà des paroles, et tout en louant l’austère vertu des femmes germaines, « qui ne se fient pas à un brillant séducteur, » il n’était devenu infidèle ni à la belle Chloé, ni à la trompeuse Barine, ni à l’inconstante Lydie, ni à tant d’autres belles filles de l’Asie, dont Rome était pleine, qui faisaient trembler les mères pour leurs fils, et pour qui l’épouse à peine mariée était abandonnée par son époux.

Et Auguste lui-même, ce réformateur de la vie publique, ce préfet des mœurs (magister morum), comme il s’était fait appeler solennellement, ne savait-on pas ses mariages et ses divorces ? et Claudia, cette enfant qu’il avait épousée par politique, renvoyée presque le jour même, parce qu’il avait rompu avec sa belle-mère ; et son union précipitée avec Livie, qu’il avait enlevée enceinte à son mari ; et l’épouse de Tibère qu’il l’avait forcé de répudier, enceinte également, pour mettre au lieu d’elle Julie, sa petite-fille ; et tous les mariages qu’il avait noués ou brisés à son gré, dans son impudique famille ? N’applaudissait-on pas au théâtre à des allusions contre ses mœurs ; ne savait-on pas les infamies de sa jeunesse, et ne lisait-on pas les illisibles reproches qu’Antoine lui adresse dans une lettre presque amicale ? Et ne se souvenait-on pas que ce pieux restaurateur de la religion avait figuré Apollon dans une farce où ses amis et ses courtisans avaient représenté tout l’Olympe ?

Et même, tandis qu’Auguste, vieux et achevant un règne d’une prospérité inouie, travaillait ainsi à la réforme des mœurs, quels noms répétait la foule au théâtre, quels noms lisait-elle affichés au Forum ? Ceux des amans des deux Julies, sa petite-fille et sa fille ; leurs désordres étaient publics, qu’Auguste les ignorait encore. C’étaient elles pourtant qu’il avait élevées, comme d’antiques Romai-