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LES CÉSARS.

étaient restés riches après les guerres civiles recevaient de César l’ordre de travailler, comme lui, à l’embellissement de la cité-reine. Balbus lui faisait un théâtre ; Philippe, des musées ; Agrippa, son Panthéon, cent cinquante fontaines, cent soixante-dix bains gratuits ; Asinius Pollion (chose singulière), un sanctuaire à la liberté. « Voyez cette ville, disait Auguste ; je l’ai reçue de brique, je la laisserai de marbre. »

Maintenant, au milieu de cette Rome devenue si belle, si voluptueuse, si pleine de sécurité, on voyait passer un homme simplement vêtu, marchant à pied, coudoyé par chacun, habillé comme Fabius, d’un manteau fait par ses filles. Cet homme allait aux comices voter avec le dernier prolétaire ; il allait aux tribunaux cautionner un ami, rendre témoignage pour un accusé ; il allait chez un patricien célébrer le jour de naissance du maître de la maison, ou les fiançailles de sa fille. Il rentrait chez lui : c’était une petite maison sur le mont Palatin, avec un humble portique en pierre d’Albe, point de marbre, point de pavé somptueux, peu de tableaux ou de statues, de vieilles armes, des os de géant, un mobilier comme ne l’eût pas voulu un homme tant soit peu élégant : ce qu’il avait eu de vaisselle d’or du trésor d’Alexandrie, il l’avait fait fondre ; de la dépouille des Ptolémées, il avait gardé un vase de myrrhe : il se mettait tard à table, y restait peu, n’en connaissait pas le luxe si extravagant alors ; avec du pain de ménage, des figues et de petits poissons, le maître du monde était content : à le voir si simple, qui aurait osé dire que c’était un roi ? Un soldat l’appelait en témoignage : « Je n’ai pas le temps, disait-il, j’enverrai un autre à ma place. » — « César, quand tu as eu besoin de moi, je n’ai pas envoyé un autre à ma place, j’ai combattu moi-même, » et César y allait. Il fallut que, déjà vieux, à la célébration d’un mariage, il fût poussé et presque maltraité par la foule des conviés, pour qu’il cessât d’aller aux fêtes où on l’invitait.

Et puis, cet homme pacifiait l’Italie et le monde, c’était le conciliateur universel, l’homme des ménagemens et de la paix. Il remettait les vieilles dettes, déchirait les vielles enquêtes, fermait les yeux sur les usurpations consacrées par le temps, sur tous ces droits à demi légitimes qui restent des révolutions, et auxquels il est si dangereux de toucher ; il passait le jour et la nuit à rendre la justice ; malade, il écoutait chez lui les plaideurs. Il ne pre-