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habiles, sont admirables en pareil cas. On n’établit rien de solide sur un principe, nous le savons bien. Octave ne s’appuya ni sur un principe ni sur un parti ; il chercha seulement à secourir chacun, à ne fâcher personne. Il avait été cruel quand il avait eu à soutenir une lutte violente ; la lutte finie, il fut clément. Il savait qu’en politique, quoi qu’en aient dit des niais sanguinaires, ce sont les morts qui reviennent.

Il était riche, presque seul riche en ce temps ; riche de son patrimoine, riche de la sagesse avec laquelle il avait su faire économiquement la guerre civile, riche des legs de ses amis, qui, selon la coutume romaine, ne mouraient pas sans lui laisser quelque chose de leur bien. Avec cette fortune bien ménagée, il soulagea tout le monde, paya les legs énormes de César, donna des secours aux grandes familles (faisant ainsi sa pensionnaire de l’aristocratie son ennemie), poliça et tranquillisa l’Italie, fit venir du blé d’Égypte, et, maître du trésor immense des Ptolémées, au lieu de le garder pour lui-même, comme eût fait tout autre, et même César, il mit dans la circulation cette masse énorme d’or et d’argent ; l’intérêt de l’argent en baissa, et les terres d’Italie augmentèrent de valeur. Il y avait des républicains, c’est-à-dire des aristocrates, c’était la même chose ; de quoi se fussent-ils fâchés ? Tout se passait légalement ; Octave n’était point roi, Dieu l’en garde, il n’était pas même dictateur, comme avait eu la folie de l’être son oncle César, qui, lui, ne savait pas si bien la valeur des mots. Au contraire, quand on avait voulu le nommer à cette dignité, il avait supplié à genoux, la toge entr’ouverte, qu’on la lui épargnât. Il s’irritait si on l’appelait seigneur. Le sénat l’avait déclaré grand pontife, dignité républicaine ; tribun, dignité républicaine ; consul, autre dignité de la république : ainsi, sans changer un titre, et avec un scrupule de légalité qui eût enchanté Caton, Octave réunissait toute la puissance religieuse, domestique et militaire : la république n’était pas détruite ; au contraire elle vivait incarnée en lui. Rappelez-vous nos monnaies, où on lit encore : République française, Napoléon empereur.

Voilà pour les républicains ; restaient les deux grandes puissances de l’époque, le peuple et les vétérans. Les vétérans étaient l’armée de César, l’armée d’Antoine, l’armée d’Octave ; tout un peuple de soldats qui vivait de guerres civiles et qui les entreprenait à prix fait, comme les condottieri italiens. La guerre finie, il fallait les