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la tête couverte, ne voyageait qu’en litière. Toute l’aristocratie se moquait de sa roture. Il était cependant d’une grande famille du bourg de Velletri, et son père, le premier de sa race, était venu s’établir à Rome. Mais son grand-père, disait-on, avait été banquier (lisez usurier). — Ta mère t’a couvert de farine, — lui disait cette gentilhommerie romaine, qui le prétendait petit-fils d’un meunier. Ce n’était donc ni la naissance, ni le courage, ni l’activité, ni le génie, ni l’humanité de César (Octave en un jour avait fait périr trois cents sénateurs), c’était toute autre chose, et il fallait toute autre chose.

Les grands hommes commencent une guerre civile, un habile homme la finit. Mais il n’est guère donné de l’achever à celui qui y a pris une part trop active. Henri IV, s’il eût été trop bon protestant, n’eût pu en finir avec la Ligue, avec laquelle, vous le savez, il ne fit que transiger. Bien prit à Bonaparte de n’avoir été en 92 qu’un petit lieutenant d’artillerie ; sans quoi, qu’aurait pu être, au 18 brumaire, le royaliste ou le patriote de 92, homme déjà classé, homme déjà usé, homme déjà jeté au rebut avec tout son parti ? Entre la position de tous ces hommes. Octave, Henri IV, Bonaparte, Louis-Philippe, il y a une analogie qui me frappe : c’est qu’aucun d’eux n’avait d’avance pris parti irrévocablement pour personne ; celui-là, chef des protestans, était allé à la messe après la Saint-Barthélemy ; celui-ci n’avait pas traité Antoine, l’ami de César, mieux que Brutus meurtrier de César ; cet autre avait fusillé des royalistes dans la rue Saint-Honoré, et sauvé des émigrés en Italie, comme Henri IV assiégeant Paris faisait, dans son humanité et dans sa politique, passer des vivres aux Parisiens. Tel autre, soldat républicain de 92, venait de conquérir un titre de cour sous les Bourbons. C’est à ces hommes-là, hommes de politique ambiguë, mais habile, hommes sans parti et qui se trouvent être du parti de tout le monde, qu’il appartient de venir, quand on est las, quand on est dégoûté, quand les partis sont tombés en discrédit auprès des masses, apporter ce grand bien, alors tant apprécié, la paix. Quand la Ligue toucha à sa fin, il s’établit entre les protestans et les catholiques, ou pour mieux dire, entre les royalistes et les ligueurs, un tiers parti, celui des politiques, c’est-à-dire des gens qui mettaient de côté la grande question de la guerre civile, la question religieuse. Ainsi se résolvent, chez les hommes, les gran-