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belle. À chaque moment les hommes pourraient répéter là le vers de leur poète :

Et, sans espoir, nous vivons de désirs.

Ceux qui, à l’heure où j’écris, ont en main les affaires de l’Espagne, cette sœur de l’Italie, et qui, voyant les maux infinis de leur pays, cherchent pour remède l’intervention d’un peuple étranger, et, en général, tous ceux de qui dépendent ces pesantes questions, ne devraient jamais cesser d’avoir les yeux tournés du côté de l’Apennin. Ils apprendraient là que le despotisme le plus violent qu’on puisse imaginer est un bienfait en comparaison du salut qu’on doit à la conquête dissimulée sous le nom de protection. La première de ces tyrannies ne fait mourir que des hommes, la seconde abolit l’état ; celle-là tue le présent, et celle-ci l’avenir.

J’ai lu en Lombardie le livre de Silvio Pellico, et j’ai admiré autant qu’un autre la sainteté de cette âme de martyr ; mais Dieu éloigne à jamais de nous le règne de semblables vertus ! Elles sont de celles qu’il faudrait souhaiter à ses meilleurs ennemis. Si cette résignation sublime, si ce désistement de la volonté humaine était le dernier mot de l’Italie, rien ne resterait qu’à verser sur elle d’éternelles larmes ; car elle aurait justement toutes les vertus des morts. Au contraire, tant qu’il reste un espoir et un souffle dans ce grand corps, je trouve qu’il est convenable de ne point abandonner trop tôt la haine enracinée par Pétrarque et par Machiavel ; la seule passion, après tout, qui empêche les morts de se dissoudre. Il ne faut pas que les peuples tendent les deux joues à leurs ennemis. Cela n’est ni chrétien, ni païen, ni divin, ni humain.


Ed. Quinet