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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

Il y a à Naples un usage qui se rapporte à celui de Caprée. Le jour de la Toussaint, les têtes des morts sont enlevées des tombeaux : on les place au milieu des caveaux des églises entre des cierges allumés. Chaque mort a son nom écrit sur le front. La foule vient les visiter. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’un peuple si sensuel ne témoigne à ce spectacle aucune horreur, soit qu’il y ait dans le fond de ce pays un mélange de sensualité et d’ascétisme qu’aucun temps n’a effacé, soit que la tradition ait tout fait ; car le même usage se retrouve en Sicile, et surtout à Palerme.

De Capri, j’abordai à Sorrente. Je vis la maison de la sœur du Tasse, et l’escalier par où le malheureux poète, déguisé en pèlerin, monta pour chercher un refuge contre l’égarement de son cœur. J’ai toujours trouvé que ce golfe éblouissant a quelque ressemblance avec la poésie de la Jérusalem délivrée, où rayonne aussi tant de soleil. Mais il y avait, outre cela, dans le cœur du poète, une inguérissable tristesse, qui ne se retrouve nulle part dans les objets en Italie, si ce n’est dans les vases de marbre des villas, où les orties en fleurs croissent au souffle de la malaria.

En suivant à pied les détours du golfe, le chemin me ramena à Pompéie par l’entrée que l’on appelle justement la rue des Tombeaux. Il y a je ne sais quoi de frivole dans ces ruines. Vous touchez de trop près aux détails menus de la vie dans l’antiquité : il manque entre elle et vous cette perspective qui l’agrandit dans ses misères ; d’ailleurs, les caricatures dont ces murailles sont peintes leur ôtent tout sérieux : vous êtes là au milieu du commérage des morts d’une petite ville de province. Ce n’est point une Sodome condamnée par le feu céleste, mais le sarcophage épicurien d’une courtisane de Campanie. Il semble que ces tombeaux soient faits pour des morts de théâtre, et que vous assistiez à une bouffonnerie, où Rome et Athènes seraient parodiées à la fois dans d’infiniment petites proportions. Tant que j’errai dans ces petites rues, j’entendis à travers les bruissemens de la brise, dans les vignes, les éclats de rire fous des courtisanes, le pas tardif des vieillards de Ménandre et de Térence, et l’écho effronté des vers de Catulle, qui ébranlaient la porte de sa maîtresse. Mais quand je montai sur la terrasse élevée d’un théâtre, et que je regardai la mer, Caprée, et, tout près, le Vésuve, dont la lave continuait de couler, je vis bien que ce jeu était sérieux, et que c’était au moins une noble comédie qui se jouait là au pied de ce volcan.

Des ruines qui font un contraste absolu avec celles de Pompéie sont celles de Pæstum, situées à l’extrémité du golfe de Salerne. La plage qu’elles occupent est pestilentielle. Le jour où je la vis, elle étincelait, au matin, comme un fer à cheval rougi dans une forge. Des montagnes.