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fracas sur les bords du cône. Les escarpemens et les escarres de la montagne furent un instant éclairés comme en plein jour. Par des ouvertures fort éloignées du cratère on voyait la lave sourdre du sol. Elle s’écoulait en pétillant par quatre bouches ; un peu après la montagne poussa de nouveau son gémissement de géante. Au moment de l’explosion, je jetai les yeux du côté de la mer ; j’aperçus distinctement de petits bâtimens à l’ancre. La montagne trembla plus fort ; mais les flots n’en furent point émus, et rien ne me parut plus beau que le sommeil de la mer souriante sous ce volcan déchaîné. La baie de Naples ressemblait ainsi à l’Angélique d’Arioste sous les ailes étendues et la gueule de la Chimère. Je m’assis sur cette terre tremblante ; la nature était saisie d’un vertige auquel je m’abandonnai avec délices. Ces intervalles rapprochés de bruit et de silence, de lumière et de ténèbres, le calme de la nuit, le calme non moins grand de la mer, cette montagne émue en sursaut, tous ces effets contraires, se fortifiaient l’un par l’autre. Sans m’en rendre compte, je trouvais dans ce spectacle une foule d’images applicables à l’état moral dans lequel j’étais alors, et qui avait beaucoup empiré depuis ma sortie de Rome.

Je passai la nuit sur ce sommet. Quand le jour parut, je pus me rassasier à loisir de la vue de ce golfe fameux qui s’étendait à mes pieds. Au loin, l’île de Caprée, qui a la forme d’une galère antique, fermait l’entrée de la haute mer. Le soleil se leva de l’autre côté de Pompéie ; il se balança quelque temps sur les tombes comme une torche de funérailles. Ce fut le signal pour une infinité de petites barques de quitter le rivage dans une foule de directions. J’entendis en ce moment le bruit des villes et des villages qui s’éveillaient. La brise de mer commença à faire frissonner les vignes suspendues aux peupliers comme des tyrses gigantesques ; un instant après, la lumière étincela sur les flots ridés ; une vapeur dorée, comme la poussière des étoiles, s’éleva à l’horizon ; l’air se chargea de parfums ; toute la nature parut enivrée comme dans une fête païenne ; et aussi long-temps que le volcan continua de s’agiter, cette Campanie chrétienne ressembla à sa sibylle balbutiante sur le trépied.

Dans Naples, la ville des sens, je remarque que les monumens les plus considérables pour l’art sont les tombeaux. Encore ces tombeaux appartiennent-ils presque tous à l’époque de la domination espagnole. Il y a une singulière fierté dans ces morts, debout sur leurs mausolées, la dague ou la tisonne à la main ; ils semblent régner encore sur les vivans qui rasent au-dessous d’eux le sol d’un pas furtif. Les tours d’Anjou que baigne la mer tiennent aussi cette terre prisonnière. Le palais de Jeanne-la-Folle, abandonné aux flots qui s’en emparent chaque jour, le bel arc d’Aragon, sont d’autres témoins de la conquête. Tous les peuples ont laissé ici, dans