Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

impie que le blasphème ne m’a point séduit. Entre le poète qui rêve et le fidèle qui croit, il y a, quoi qu’on en dise, tout un abîme. Je préfère ne rien croire, je préfère ne rien aimer, plutôt que de croire ou d’aimer quelque chose à demi.

Je ne crois pas en toi, reine de toute croyance ; et s’il en était autrement, je le confesserais de même ; mais je t’adore, mère de toute beauté. Tu es pour moi l’éternelle madone assise sur tes ruines, et pleurant dans ta campagne au pied de la croix du monde ; et si tu veux que je dise quelque chose de plus, je le dirai encore : Mon cœur privé de toi est plus vide en te quittant que ta vide Maremme, et mon désert plus grand que ton désert, depuis le pied des montagnes jusqu’aux rives de la mer.

vi.

Lorsque j’arrivai à Naples, le Vésuve était en pleine éruption. Pendant le jour, la lave roulait ses flots noirs du côté de l’Annonziata et de Pompéi. Vers le soir, les torrens se changèrent en une ceinture ardente qui se nouait et se dénouait dans les ténèbres. J’attendis impatiemment le lendemain pour monter sur le bord du cratère au milieu de la nuit.

À huit heures du soir, je partis du petit bourg de Torre-del-Greco. Après une heure de marche j’arrivai à l’ermitage. La nuit était fort noire. J’allumai ma torche ; l’ermite me souhaita bon voyage ; je repris mon chemin avec mon guide ; j’eus bientôt atteint le pied du cône. À cette distance, j’étais trop près du volcan pour le voir ; seulement j’entendais au-dessus de ma tête des explosions que les échos grossissaient d’une manière formidable, et une pluie de pierres qui roulaient de choc en choc dans les ténèbres. Du milieu de tout cela, sortait un grand soupir comme d’un homme qu’on lapide. Le vent éteignit ma torche. J’achevai de gravir la pente dans une complète obscurité. Mais au moment où j’atteignais le sommet, une lumière infernale éclaira le ciel. Voici le spectacle que j’eus alors devant moi.

Le sol tremblait ; il était tiède au toucher. À travers ses crevasses brillaient les filons de feu d’une fournaise cachée. Du milieu du grand cratère où j’étais, un nouveau cône s’élevait qui paraissait tout en flammes. De l’embouchure de ce gouffre s’exhala une haleine immense et long-temps contenue. Cette aspiration et cette respiration, profondes et régulières comme celles d’un soufflet de forge, s’élevaient du sein de la montagne oppressée. Une détonation terrible les suivit. Les pierres flambantes furent lancées en gerbes à perte de vue, et se précipitèrent avec