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sent, et qui est la parole et la vie de tout cet horizon muet. On apporte devant lui un livre que des prêtres à genoux soutiennent sur leurs épaules, comme le livre des destinées humaines ; il en lit quelques lignes à haute voix ; le silence est tel, que lorsqu’il ferme le livre, le bruit de cette page froissée s’entend au loin. Puis, seul au-dessus de cette Rome à genoux, il se lève debout : étendant les bras sur elle pour l’enceindre de la miséricorde divine, il prononce les paroles connues, à la ville et au monde ; les cloches éclatent, le canon gronde, la foule se relève. Un cri d’enthousiasme païen s’échappe encore de cette terre épuisée ; Rome renaît et vit des siècles de siècles en cet instant. La campagne déserte, les ruines, le môle d’Adrien, qui est tout près, le Tibre, l’assemblée des pélerins, et au sommet de tout cela, sous le dôme de Michel-Ange, cet homme éternel et sans nom, le pape, le seul habitant permanent et l’immortel pélerin de la cité catholique, il n’est personne qui ne reste frappé pour toujours d’un si extraordinaire spectacle.

Heureux, m’écriai-je en moi-même, le lendemain en quittant Rome, saisi encore de l’impression de la veille ! heureux ceux qui croient, si ce sont là les sentimens de ceux qui doutent ! Se peut-il qu’une institution semblable vienne à mourir ? Est-ce fait de la foi des aïeux ? N’ai-je vu ici qu’un fantôme, une ruine sur une ruine, ou est-ce mon cœur qui est mort ?

Ô ville grande et glorieuse, puisque tu renfermes encore la seule question qui occupe l’univers et qui mérite d’être débattue ! ton chef restera-t-il le chef du monde, et toi resteras-tu la reine des reines ? seras-tu comme toutes les villes que se sont bâties les hommes ? auras-tu ton levant et ton couchant ? ou, comme la ville de Dieu, répareras-tu éternellement tes brèches ?

Si celui qui t’a bénie hier venait à mourir demain, et à disparaître sans successeur, y aurait-il une solitude semblable à la tienne ? Alors, toi, la ville des ruines, tu saurais pour la première fois ce que c’est que d’être désolée ; car, tant que ce vieillard habite la même tombe que toi, ton désert est rempli ; il est l’époux, tu es l’épouse. S’il se meurt, tu te meurs. S’il renaît, tu renais.

Pélerin du doute, j’ai fait ce que font les pélerins de la foi ; j’ai visité les tombeaux ; j’ai touché dans les catacombes les os des martyrs. Les passans qui me voyaient auraient pu dire : Voilà un fidèle croyant. Mais eux priaient, et moi j’écoutais ; eux adoraient, et moi je cherchais à adorer ; et quand je m’agenouillais comme eux, mon esprit rebelle se tenait debout, au milieu de l’église, en face de l’hostie. J’aurais pu, comme un autre, prendre pour une marque de foi les amusemens de ma fantaisie, et les ébranlemens de mon imagination. Mais ce leurre, à mon avis, plus