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LA PRESSE FRANÇAISE.

du gouvernement, la polémique relative aux affaires nationales et étrangères, enfin les documens et théories qui concernent l’administration. Cette ample matière, journellement exploitée par les journaux, n’a fourni à la librairie que 275 ouvrages ou brochures, et 2,705 feuilles-modèles, donnant un nombre inférieur à 1,000 pour chiffre moyen du tirage.

Il est ordinairement facile, à la simple lecture d’un écrit politique, de deviner la position et les habitudes intellectuelles de l’auteur. Prend-il à tâche de mettre les faits en contradiction avec les principes, de grossir les petits obstacles qui entravent la réalisation ; parle-t-il avec dédain des faiseurs de phrases et d’utopies qui ne doutent de rien, vous reconnaissez le fonctionnaire qui se meurtrit journellement aux aspérités des affaires. Dans les rangs opposés où se confondent tous les partis, le ton de la discussion et du style indique à quelle société appartient, à quels intérêts obéit le redresseur d’abus ; celui-ci a le tort de se préoccuper fort peu des difficultés de la pratique. Il n’est donné qu’aux hommes clairvoyans et consciencieux d’avancer entre ces deux écueils. Le public ne l’ignore pas, et c’est pourquoi, de tout temps, il s’est tenu en défiance contre les nouveautés politiques. Elles ont aujourd’hui aussi peu de crédit que jamais. Il faut que la clientelle d’un écrivain soit bien assurée par son rang, ou par l’éclat de son nom, pour qu’un libraire fasse les frais d’une impression en ce genre. Quant au publiciste inconnu, il doit, pour se produire, payer de son argent comme de son esprit. En attendant les acheteurs, qui ne viennent pas, il distribue son œuvre à ses amis et aux politiques de profession. Ceux-ci, à la première rencontre, lui secouent la main, le complimentent sur son succès, en s’excusant toutefois de n’avoir pas encore lu.

Avant de grouper les publications de cette année, nous mettrons à part un ouvrage trop saillant pour disparaître dans les cadres d’un simple inventaire. C’est celui de M. Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, qui compte déjà plusieurs éditions[1]. Songer à l’avenir, au milieu des partis qui ne s’occupent que du lendemain, telle est la tâche que l’auteur poursuit depuis long-temps. L’observation des infirmités du corps social l’a conduit à un résultat qu’il exprime ainsi : « Le développement graduel de l’égalité des conditions est un fait providentiel. Il en a les principaux caractères ; il est universel, il est durable… Vouloir arrêter la démocratie, serait lutter contre Dieu même. » La vue d’une révolution irrésistible l’a frappé d’une terreur religieuse : c’est lui-même qui l’avoue : il s’est donc fait un devoir d’étudier le principe et l’action de la démocratie, dans le pays où elle paraît le plus fortement organisée, dans l’Amérique du Nord. Son intention évidente est de rechercher le mécanisme par lequel un peuple vraiment souverain peut intervenir dans la

  1. Nous avons apprécié autrefois ce livre dans la Revue.