Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/698

Cette page a été validée par deux contributeurs.
694
REVUE DES DEUX MONDES.

Ils avaient eu trop de torts envers cet homme pour ne pas le haïr mortellement ; ils résolurent de s’en débarrasser.

Cependant le capitaine du Prométhée n’avait entendu parler que vaguement du complot qui se formait contre lui, lorsqu’un jour, en descendant à terre, il trouva au haut de la cale un groupe d’officiers de marine qui l’attendaient. À leur attitude, à leurs regards, Cornic comprend aussitôt ce dont il s’agit. Il s’avance vers eux.

— Est-ce à moi que vous voulez parler, messieurs ? dit-il ; je suis à vos ordres.

Encore plus irrités de cette audace, les officiers déclarent au jeune marin qu’ils ont juré d’avoir sa vie, et qu’il faudra qu’il leur donne satisfaction à tous, l’un après l’autre.

— Soit ! répond Cornic, et il les conduit lui-même dans une des carrières voisines du cours d’Ajot.

Les fers se croisent, et le capitaine du Prométhée renverse son adversaire.

— À un autre, messieurs, dit-il froidement.

Un autre se présente, et tombe également ; un troisième, un quatrième, un cinquième, ne sont pas plus heureux. Il n’en restait plus que deux, qui hésitent. Ils veulent objecter l’absence de témoins, dont ils s’aperçoivent alors pour la première fois.

— Ces messieurs nous en serviront, dit Cornic en montrant les blessés.

Et il attaque les deux derniers officiers, qu’il blesse comme les autres.

Cette affaire mit le comble à sa popularité ; mais elle porta l’exaspération du grand corps à un tel point, que l’intendant de la marine, pour éviter de nouvelles rencontres, et peut-être un assassinat, fut obligé de donner au capitaine du Prométhée une garde pour sa sûreté personnelle !

La carrière militaire de Charles Cornic se termina à cette époque. Un amour partagé, son mariage avec la femme qu’il aimait, la perte de cette femme, qu’il trouva morte à ses côtés dix jours après l’avoir épousée, le long désespoir qui suivit cette mort, tout se réunit pour le retenir à terre et amortir chez lui l’aventureuse ardeur qui l’avait jusqu’alors poussé à tant de vaillantes témérités. En 1770 seulement, à l’époque du terrible débordement de la Ga-